Le réalisateur congolais Nelson Makengo, 29 ans, a reçu le 27 novembre le prix du Festival international du documentaire d’Amsterdam (IDFA) pour son court-métrage Nuit debout (« Up at night »).
Nuit debout, sixième court-métrage de l’artiste, propose 20 minutes d’immersion dans un Kinshasa nocturne en proie aux « délestages », les coupures d’électricité. Le film se déroule sur trois écrans juxtaposés, où l’on peut voir les habitants parler de ce problème et le résoudre à leur manière. La bande-son, éloquente, passe du bruit d’un générateur à un extrait d’un bulletin d’information à la radio sur le potentiel énorme d’Inga, ce barrage hydroélectrique qui pourrait alimenter non seulement la République démocratique du Congo (RDC), mais aussi une bonne partie de l’Afrique en électricité. En voix off, on entend aussi Joseph Kabila, l’ancien président, évoquer son bilan.
Le jeune réalisateur s’exprime avec la même sérénité que celle qui se dégage de son film. La voix posée, il constate simplement : « Les gens ne se disent plus qu’ils vont attendre l’électricité, ils s’organisent et s’approprient la question de la lumière. Ce qui importe dans le film, ce n’est pas la politique, mais comment les Congolais observent leur réalité là où ils se trouvent. La politique, on ne peut pas y échapper. Au Congo, tout nous ramène toujours à la politique… Mais comment perçoit-on nous-mêmes toute la réinvention de la lumière ? »
« La nuit comme métaphore »
Il a lui-même pris conscience que Kinshasa était dans le noir au retour d’un séjour de deux mois et demi à Paris, pour l’Université d’été de la Femis, en 2016. Un voyage qui lui fait un choc et le « redémarre » dans ses perceptions. « Esthétiquement, cela créée quelque chose de temporaire, mais de très beau. C’est ce qu’il y a d’intéressant dans cette précarité : la beauté qui illumine la ville ».
Le film est parti d’un projet photo, pour créer une cartographie imaginaire de la ville vue du ciel, avec ses quartiers allumés et ses quartiers éteints. L’installation prévoyait trois écrans différents… Elle est devenue un film de manière expérimentale, auto-produit, avec le soutien de quelques amis et une post-production au centre d’art bruxellois Argos.
Le court-métrage a d’abord fait partie d’une installation d’art contemporain, présentée au centre d’art WIELS à Bruxelles en juillet 2019 dans l’exposition « Multiple Transmissions : Art in the Afropolitan Age ». Nelson Makengo a installé un parasol éclairé sous lequel trônent des marchandises, emblème de la vie nocturne dans toutes les villes de RDC. Le film a aussi été présenté lors de la dernière Biennale de Lumumbashi, en octobre. « Le public souriait, il se reconnaissait, précise Bob Nelson Makengo. Il n’y a rien de nouveau pour lui, mais se confronter à quelque chose qu’on connaît déjà dans un autre espace, c’était intéressant ». L’artiste congolais Sammy Baloji, organisateur de cette Biennale, souligne « le sens aigu de l’observation et un travail plastique impressionnant » chez Bob Nelson Makengo. « C’est fort de choisir la nuit comme métaphore, avec ses personnages comme formes d’énergie et de lumière, pour parler de manière si simple d’une question complexe ».
Un poulain de feu Kiripi Katembo Siku
S’il tourne seul, l’auteur appartient à une scène contemporaine congolaise qui se questionne sur les espaces, la mémoire et l’histoire. Il a fait l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, dont il est sorti en 2015, l’année de la disparition de son mentor, Kiripi Katembo Siku, photographe de talent emporté par un neuro-paludisme. Il est l’auteur d’une série dénommée « Théâtre urbain », dans laquelle il place des jouets empruntés à son neveu, des figurines de super-héros, dans l’environnement de sa ville. « Je sentais une résistance, les gens me disaient : « Tu veux photographier notre saleté ? » Comment photographier sans que les Kinois se sentent trahis, agressés ? J’ai essayé une fois la mise en scène de figurines. Les gens eux-mêmes venaient mettre en scène ce que je voulais photographier, c’est devenu un jeu ». Ses références sont d’abord littéraires et congolaises : il cite Sinzo Aanza, Jean Bofane et Fiston Mwanza Mujila avec son livre Tram 83, dans lequel il voit un art du « montage » qui lui rappelle des cinéastes russes de la période soviétique, comme Dziga Vertov ou Sergeï Eisenstein.
Un coup de poing dans un gant de velours
Son cinquième film, E’ville ( jeu de mot entre Elisabethville, le nom colonial de Lubumbashi, et Evil, « diable » en anglais ), a reçu de nombreux prix, de Kigali à São Paulo en passant par Sharjah, aux Émirats arabes unis. C’est là encore un coup de poing dans un gant de velours, à la fois poétique et politique. Sur une bande son qui relit la célèbre lettre de Lumumba à sa femme, en la mêlant avec des archives sonores de Mobutu, il filme pendant 10 minutes les vestiges d’un centre sportif de la Gécamines à Lubumbashi, métaphore des échecs de l’Etat congolais.
Sans grands moyens, il fait lui-même partie de la force qu’il décrit, face à l’adversité. « Je me demande jusqu’à quel point les gens peuvent résister face à une réalité aussi précaire. Ils sont encore debout. Nuit debout, c’est un titre inspiré par le mouvement citoyen de manifestations contre la loi Travail Nuit debout à Paris, en 2016, où les gens ont la liberté de s’exprimer sans pour autant être agressés ». Le titre peut aussi évoquer le « Parlement debout » du début des années 1990, dans lesquels les gens venaient discuter aux coins de rue en lisant les journaux. Son prochain projet : un long-métrage documentaire sur le même thème, autour de l’histoire d’un pasteur et d’un vendeur ambulant, l’un vantant « la lumière du Christ dans le noir »,« l’autre allant vendre des torches LED avec un pousse-pousse ».