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Présidentielle en Guinée-Bissau: la stabilité, enjeu numéro 1 du scrutin

760 000 électeurs inscrits sont appelés aux urnes pour l’élection présidentielle. Douze candidats sont en lice. Parmi eux : le président sortant José Mario Vaz (en tant qu’indépendant), le candidat du PAIGC (parti historique et vainqueur des dernières législatives), Domingos Simoes Pereira, ou encore Umaro Sissoko Embalo pour le Madem, principal parti d’opposition au Parlement. Les bureaux seront ouverts de 7h à 17h (TU et locales). Un scrutin sensé tourner la page des crises politiques.

C’est la première fois qu’un président bissau-guinéen achève son mandat depuis 1994. José Mario Vaz est même allé au-delà : son mandat a expiré en juin dernier. Quatre coups d’État, sans compter les tentatives de putschs depuis l’indépendance en 1974, et une valse de gouvernements… La Guinée-Bissau est secouée par des crises à répétition, qui paralysent l’économie, et favorisent le narcotrafic.

L’enjeu majeur de cette élection, c’est donc d’abord la stabilité, même si la dernière crise en date – le limogeage du Premier ministre par le président fin octobre – a laissé planer le doute sur la tenue même du scrutin. La Cédéao, médiatrice, avait alors parlé de « risque de guerre civile ». La communauté internationale a fait bloc.

La campagne électorale a été assez tendue. Pour Maurice Paulin Toupane, chercheur à l’Institut d’études et de sécurité, ces tensions sont liées au fait que de nombreux acteurs de la crise de 2015 sont en compétition ce dimanche. « Il y a un antagonisme profond entre les trois principaux acteurs (Vaz, Pereira, Embalo). Le succès de l’élection va déterminer leur avenir politique. Les risques de poursuites judiciaires pèsent sur la tête de ces principaux acteurs s’ils perdent l’élection. »

Des services publics à l’abandon

La stabilité, mais aussi le développement. Deux habitants sur trois vivent ici sous le seuil de pauvreté. Le pays est classé 117e sur 189 dans l’indice du développement du PNUD. Il suffit de franchir par la route la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, pour mesurer à quel point le pays d’Amilcar Cabral est en retard par rapport à s’es voisins. La splendide nationale 4 casamançaise laisse place à une route défoncée, régulièrement inondée, parsemée de ponts branlants et de villages plongés dans le noir. La Guinée-Bissau stagne depuis deux décennies, depuis l’insurrection militaire contre le président d’alors Nino Viera.

Certes la Banque mondiale mesure un taux de croissance oscillant, bon an mal en, entre 4 et 5%, mais les deux tiers des Bissau-Guinéens vivent toujours avec moins de deux dollars par jour, et l’espérance de vie n’atteint pas 58 ans. Les multiples crises politiques ont stoppé le développement. Pourtant le pays ne manque pas d’atouts : poisson, cajou, bois précieux et phosphate. Des richesses mal exploitées, et souvent pillées, comme la pêche et le bois, aux profits d’intérêts étrangers. Hormis la noix de cajou, aucune filière agricole pérenne n’a été développée en deux décennies. L’instabilité politique a non seulement freiné les projets financés par la communauté internationale, mais en plus elle a fait basculer ce pays dans la catégorie des narco-États, couloir de transit pour la drogue venue de Colombie. S’en est suivie une corruption endémique, régulièrement dénoncée par la communauté internationale.

Les services publics sont délaissés. Comme celui de la santé. Selon l’OMS, le secteur de la santé en Guinée Bissau est financé à moins de 8% par l’État. Le reste vient des partenaires extérieurs, et des patients. « Pour travailler ici à l’hôpital, il faut du courage ! On manque de matériel, pour les accouchements… On n’a même plus de formulaires pour les patientes qui viennent s’inscrire, parce qu’on n’a pas d’imprimante ! Et on a un an de salaire en retard ! On a fait la grève un mois, le gouvernement a promis de nous payer. Sans salaire, on ne peut pas vivre ! »

Ce n’est pas facile, les médicaments sont trop chers. Moi j’ai pris pas mal de médicaments pendant ma grossesse, je continue d’ailleurs, et c’est mon mari qui doit payer

Reportage à la maternité de l’hôpital public Simao-Mendès, le principal du pays
23-11-2019 – Par Charlotte Idrac

Maternité de l’hôpital Simao-Mendes de Bissau. © Charlotte Idrac/RFI

Le risque du retour au blocage

Ce scrutin est entouré d’incertitudes : va-t-il mettre fin aux crises qui divisent la classe politique depuis 2015 ? Tout dépendra de l’issue du premier tour, estime Maurice Paulin Toupane, chercheur à l’Institut d’études et de sécurité. « En théorie, ces élections pourraient mettre fin à la crise de 2015 parce qu’elles permettront d’élire un président légitime et de mettre en place un gouvernement légitime. Si le PAIGC remporte ces élections, il y aura moins de risque d’instabilité parce qu’il s’agira tout simplement de consolider le pouvoir politique. Le risque se situe surtout dans le deuxième scénario où le PAIGC perdrait les élections et avec un président de la République issu d’une autre formation politique. On se retrouverait dans la même situation que 2015 où il y avait une instabilité gouvernementale et ça constituerait aussi un blocage par rapport aux réformes institutionnelles prévues de longue date et qui devraient normalement être mises en oeuvre après les élections. »

Après les législatives du mois de mars, la mission du futur président sera donc avant tout de rétablir le dialogue entre les forces politiques, et l’équilibre des pouvoirs entre le président et le Premier ministre. Si aucun candidat n’obtient 50% des voix ce dimanche, un second tour est prévu le 29 décembre.

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