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Rencontre avec Olivier Le Cour Grandmaison, politologue du passé colonial français

C’est l’une des voix les plus critiques, en France, sur la question du passé colonial, mais pas forcément l’une des plus écoutées. Son dernier livre, Ennemis mortels, revient sur la construction des images péjoratives de l’islam et des musulmans.

Un pavé dans la mare ? Tel n’est pas vraiment l’effet recherché par le politiste français Olivier Le Cour Grandmaison avec son nouvel ouvrage, Ennemis mortels, représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, à paraître le 17 octobre chez La Découverte. Ce livre tombe à pic, pourtant, tant les polémiques sont nombreuses, notamment au sujet des discours de haine du chroniqueur et essayiste Eric Zemmour.

Loin d’un énième essai rédigé à la va-vite, Olivier Le Cour Grandmaison veut au contraire « prendre le plus possible le temps de la réflexion, face à des sujets qui font l’objet de préjugés, opinions et bavardages dispensés par ceux qui ne connaissent pas grand-chose ni à l’islam, ni aux origines de l’islamophobie savante française ». Son ouvrage s’ouvre sur les propos à l’emporte-pièce d’un historien de renom, Ernest Renan, l’un des nombreux hommes à avoir façonné tout un imaginaire collectif.

Le lourd bilan d’un pays « en paix » après 1945

Né en 1960, Olivier Le Cour Grandmaison est un habitué des débats robustes. Il y prend part par le biais de son blog sur le site Mediapart, ou parfois par voie de pétition, comme l’appel qu’il a lancé en 2017 en faveur de la reconnaissance de l’ensemble des crimes coloniaux commis par la France. Il a été signé par 3 250 personnes, dont Achille Mbembe, sans résultat concret. « Nous nous y attendions, explique Olivier Le Cour Grandmaison. On n’engage pas un combat parce qu’on va gagner, mais parce qu’on pense qu’il est nécessaire à un moment donné. Les résistances sont importantes, car cela remet en cause la mythologie nationale de la République, comme celle des grands hommes et les mythologies partisanes de certaines formations politiques. »

Il le rappelle souvent : la France n’est pas en paix après 1945. Au massacre de Sétif s’ajoutent ceux de Madagascar en 1947, le début de la guerre d’Algérie en 1954 et la guerre d’Indochine. Il fait des comptes qui devraient être connus, mais ne le sont toujours pas. « Le bilan des massacres et des guerres coloniales après 1945, 1 million de morts, dépasse celui de la Seconde Guerre mondiale en France, 600 000 morts, militaires, résistants et civils. Dire que la France est en paix après 1945 relève d’une proposition partielle, partiale et en partie obscène ».

Engagé, il estime l’être en tant que citoyen, d’abord et avant tout. « Les objets de mes engagements sont souvent liés à des objets de recherche et non l’inverse », précise-t-il. Après une thèse sur les questions de citoyenneté sous la Révolution française, il a d’abord enseigné le droit constitutionnel et public à l’Université du Maine (Le Mans). Depuis une dizaine d’années, il dirige le master « Coopération et solidarité internationales » à l’Université Évry-Val d’Essonne. Il a par ailleurs dirigé et participé à plusieurs séminaires sur la philosophie politique au Collège international de philosophe (CIPh) à Paris.

Alexis de Tocqueville, une boîte de Pandore

Comment est-il tombé dans le chaudron colonial ? L’étude des écrits d’Alexis de Tocqueville, rédigés entre 1837 et 1847 sur l’Algérie, l’amène à ouvrir une boîte de Pandore. « Comme beaucoup de ses contemporains, Tocqueville s’est fait le défenseur de méthodes de guerre particulièrement brutales qu’il juge indispensables pour venir à bout des “Arabes”, explique Olivier Le Cour Grandmaison. Je pensais écrire un article sur ces aspects peu étudiés de son œuvre et de ses activités. En raison de l’ampleur du sujet, il en est sorti plusieurs ouvrages. »

Le premier, Coloniser, exterminer : Sur la guerre et l’État colonial (Fayard, 2005), a suscité un bon accueil chez plusieurs historiens et juristes, mais aussi des polémiques auxquelles l’auteur ne s’attendait pas. « Je pensais naïvement avoir pris toutes les précautions méthodologiques et littéraires pour les éviter au maximum. C’était en partie vain. » Cible d’attaques personnelles, il commet le tort de s’attaquer à « l’impensé colonial » – cette histoire qui n’est pas enseignée et si peu connue en France. Son second livre, La République impériale : politique et racisme d’État (Fayard, 2009), retrace comment, entre 1885 et 1913, la IIIe République fait de la France la seconde puissance coloniale du monde et l’une des toutes premières « puissances musulmanes » de l’époque, en raison de ses possessions au Maghreb, en Afrique-Occidentale française (AOF) et de son mandat en Syrie et au Liban institué par la Société des Nations en 1920.

Des détracteurs parmi les historiens

Avec De l’indigénat, anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’empire français (La Découverte, 2010), il met en évidence « le droit différencié, voire raciste, pratiqué par la IIIe République dans les colonies où l’exception est la règle, en contradiction avec les principes républicains ». Une fois de plus, il est critiqué par certains, qui lui reprochent à demi-mot de ne pas avoir de formation d’historien, mais aussi d’écorner le rêve républicain de la France. Selon l’historienne Isabelle Merle, citée dans la fiche Wikipédia assez largement à charge consacrée à Olivier le Cour Grandmaison, le « caractère expéditif » de l’analyse passe « sous silence les contradictions, contestations, tensions qui caractérisaient aussi ce régime colonial ». Sa réponse : « Un certain nombre d’historiens ont une mentalité de douanier, pour ne pas dire de policier. Il faut présenter son passeport d’historien. J’ai la faiblesse de croire que le passé colonial est un objet historique, qui n’appartient pas seulement aux historiens et qu’il faut l’aborder avec le souci de faire de l’histoire, certes, mais aussi de l’histoire du droit et des catégories politiques. »

Droit dans ses bottes, il persiste et signe avec L’empire des hygiénistes. Vivre aux colonies (Fayard, 2014), puis son dernier ouvrage, Ennemis mortels, qui lui est venu de façon logique, comme les autres, après avoir effleuré des pans entiers du passé, qu’il cherche ensuite à mieux fouiller. « Plus j’avançais dans la recherche pour comprendre la politique impériale de la France, plus il me paraissait indispensable d’intégrer la variable religieuse. D’autant que les contemporains de la colonisation ont accordé une place importante à l’islam, dans la façon dont ils ont pensé les sociétés colonisées ».

L’auteur estime que les débats en France sont « en retard » par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni, en raison des « usages politiques de l’histoire coloniale ». Il s’explique : « La France est le seul pays où une majorité, de droite en l’occurrence, a cru bon de voter une loi établissant une interprétation officielle et apologétique de cette histoire. C’est la loi du 23 février 2005. Loi scélérate, car, sauf à méconnaître les principes démocratiques qui sont les siens, l’État ne saurait intervenir dans ce domaine, et ce quels que soient les sujets. Cette loi est toujours en vigueur ! En outre, les dirigeants de droite se livrent à une sorte de surenchère déterminée par des considérations électoralistes dans un contexte de radicalisation à droite et de retour du grand roman national. Le tout, avec la caution de plusieurs intellectuels et essayistes médiatiques comme Alain Finkielkraut, Eric Zemmour et Pascal Bruckner. »

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