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Le phénomène «Atlantique» de la Franco-Sénégalaise Mati Diop sort en salles

Avec sa caméra, elle a renversé le point de vue et regardé le drame de l’immigration de l’autre côté. La Franco-Sénégalaise, 37 ans, première cinéaste femme d’origine africaine ayant remporté le Grand Prix à Cannes, sort son film « Atlantique » en France ce mercredi 2 octobre.

Avec Atlantique, Mati Diop est restée au Sénégal avec celles qui ne prennent pas le bateau, mais pleurent les morts avant d’organiser à leur façon la révolution. Après une avant-première au Grand Théâtre de Dakar début août, ce film-phénomène va à partir d’aujourd’hui à la rencontre de son public en France.

La Franco-Sénégalaise tient un plaidoyer à la fois poétique, politique et onirique appelant à ne pas baisser les bras face aux drames de l’émigration clandestine dans les pays africains. Elle choisit une façon inédite de braquer la caméra sur la situation d’une jeunesse sénégalaise tellement désespérée qu’elle est prête à plutôt mourir qu’à rester. Son but: montrer le drame de l’exil vu par les forces féminines.

La mer, dès les premières images, elle est là. Face à elle, même la caméra tremble parfois. Filmée comme une personne de caractère sous tous les angles, de près et de loin, calme et déchaînée, tendre et terrifiante, lumineuse et ténébreuse, la mer est le fil de cette histoire qui se déroule dans une banlieue populaire de Dakar, la capitale du Sénégal.

Le chantier de la grande tour

Tout au début, sur les premières images, on ne la voit pas, mais on l’entend gronder, au pied du chantier de la grande tour nommée Atlantique. Ici, entre ciel et terre, les ouvriers s’activent et s’épuisent. Cela fait trois mois qu’ils n’ont pas été payés. Ils se plaignent, ils se révoltent, mais tout ce qu’ils récoltent, c’est le mépris du grand patron. Alors, la seule consolation pour Souleiman, l’un des jeunes ouvriers, c’est Ada, son amoureuse.

Mais, même quand ils s’embrassent, l’Atlantique est là. « Tu fais que regarder l’océan. Tu ne me regardes même pas », lui reproche Ada, incarnée avec subtilité et grandeur par Mame Binta Sane. Leur amour semble semé d’obstacles. Ils doivent se rencontrer en cachette. Ada est promise en mariage à un homme riche. Elle s’en fiche. Elle ne l’aime pas. Son cœur appartient à Souleiman. Mais, un jour, endetté et désespéré, celui-ci prend la mer sur une pirogue pour conquérir l’Europe…

Les fantômes des migrants

C’est à partir de ce moment que Mati Diop innove avec sa caméra en restant au Sénégal avec celles qui attendent, brisées, dévastées. La tempête arrive, le bateau se brise face aux vagues hautes comme une maison. Mais, pendant qu’on vit le drame de l’exil avec les yeux d’une femme abandonnée, se produisent alors des choses bizarres : le lit de noces prend feu, Ada et ses copines Fanta, Dior et Mariana commencent à être frappées par des maladies mystérieuses face auxquelles même les marabouts s’avèrent impuissants. Surtout, certains disent avoir aperçu les fantômes des migrants restés en mer.

C’est de là que la résistance va partir contre les humiliations et pour une vie en dignité. Les femmes envoûtées et possédées réclament leur dû. Les corps sans tombeau au fond de l’océan rejoignent le monde des morts-vivants. Quand l’infini de la poésie se mêle au fantastique et au tragique de la vie, l’injustice du monde ressurgit du fond de l’Atlantique. Et ce n’est pas anodin que ce soit une femme qui soit porteuse de cette émancipation.

La force féminine et la liberté cinématographique

Cela montre aussi le chemin parcouru par Mati Diop. En 2010, dans son court métrage Atlantiques, elle racontait le drame de l’exode avec un regard encore très documentaire et via la traversée d’un jeune homme. Aujourd’hui, avec son premier long métrage tourné en wolof, elle met l’accent sur la force féminine et l’imagination pour assumer sa liberté cinématographique, mais aussi pour essayer de dépasser et changer une réalité devenue insoutenable des deux côtés de la rive. Née en 1982 à Paris, elle a toujours déclaré : « Je viens à la fois d’ici et d’ailleurs, du Sénégal ».

Souvent décrite comme la relève du cinéma sénégalais, Mati Diop est une admiratrice du cinéma déroutant et envoûtant du réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or en 2010. Après son Grand Prix à Cannes, la fille du musicien Wasis Diop est bien partie pour représenter le Sénégal aux Oscars. Ainsi, elle s’affirme aujourd’hui comme une digne héritière de son oncle, le célèbre cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty, qui avait reçu en 1973 le Prix de la critique à Cannes pour Touki Bouki.

À écouter aussi : Mati Diop, au-delà de l’horizon

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