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L’Afrique va-t-elle pleurer Jacques Chirac?

Tous les présidents français se retrouvent à un moment de leur mandat avec le qualificatif d’« Africain » adjoint à leur nom. « De Gaulle l'Africain », « Mitterrand l'Africain », « Sarkozy l'Africain ». Sur les six présidents de la Ve République, personne n'a mérité ce surnom autant que Jacques Chirac pour qui les liens personnels étroits avec les dirigeants étaient une dimension importante de sa politique africaine. Sur ce sujet, entretien avec Christophe Boisbouvier, journaliste spécialiste de l'Afrique et auteur lui-même de l'ouvrage Hollande l'Africain.

Quand est-ce que Jacques Chirac est allé pour la toute première fois en Afrique ?

Jacques Chirac est allé très jeune en Algérie. À trois reprises. Une première fois comme touriste, au début des années 1950, une deuxième fois entre 1956 et 1957, comme soldat de deuxième classe, puis officier, pendant la guerre d’Algérie, et une troisième fois entre 1959 et 1960, comme jeune haut-fonctionnaire, toujours pendant la guerre d’Algérie. En revanche, il n’est allé en Afrique subsaharienne que beaucoup plus tard. Sa première visite connue a lieu au Tchad en 1976. Comme Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, il est reçu par le président Félix Malloum et signe avec lui un accord de défense franco-tchadien. À la même époque, lors d’une visite à Tripoli, en mars 1976 plus précisément, il fait la connaissance du colonel Kadhafi, avec qui il a une très longue tête-à-tête. C’est aussi pendant ce premier passage à Matignon (1974-1976) qu’il noue une relation durable avec le roi Hassan II du Maroc. Mais ce n’est qu’après son élection à la mairie de Paris, en 1977, et après la création de l’Association internationale des maires de France (AIMF), en 1979, qu’il va multiplier les déplacements en Afrique.

Mais les affaires africaines sont compliquées. D’où vient son goût pour l’Afrique ?

Grâce à Jacques Foccart, qui l’a initié aux affaires africaines. Foccart était le Monsieur Afrique du général De Gaulle. Dans le premier tome de ses Mémoires, qui a pour sous-titre Chaque pas doit être un but (Nil, 2009), Chirac raconte qu’un jour de 1969, il assiste à un entretien à Paris entre Foccart et le président centrafricain Jean-Bedel Bokassa. « Arrêtez d’appeler le Général "papa", ça l’énerve », dit Foccart à Bokassa… Quand Chirac se présente à la présidentielle de 1981 contre Giscard et Mitterrand, il demande à Foccart de le mettre en relation avec des chefs d’État africains susceptibles de l’aider à financer sa campagne. La première rencontre Chirac-Bongo a lieu en octobre 1980 à l’Hôtel de Ville de Paris. 28 ans plus tard, en 2009, Giscard affirmera sur Europe 1 que les pétrodollars du président gabonais Omar Bongo sont bien arrivés à l’époque dans les caisses du candidat Chirac. Et après sa victoire aux législatives de 1986, quand Chirac retourne à Matignon, il demande à Foccart de le suivre pour contrer la politique africaine de Mitterrand. Autre mentor de Chirac, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Souvent à cette époque, Chirac va à Abidjan pour consulter « le vieux ». C’est d’ailleurs à l’issue de l’un de ces entretiens qu’il va dire l’une de ses plus grosses bourdes. En février 1990, en pleine conférence nationale au Bénin, il déclare à Abidjan, au micro de RFI que le multipartisme est une « sorte de luxe » pour les pays africains.

Jean-Jacques Aillagon, commissaire de l'exposition «Jacques Chirac ou le dialogue des cultures» photographié lors de l'inauguration au musée du quai Branly, à Paris, le 20 juin 2016. © REUTERS/Jacky Naegelen

Chirac connaissait bien les dirigeants africains. Vous dites dans votre livre Hollande l’Africain (La Découverte, 2015) qu’il avait un lien affectif avec le continent et ses dirigeants. De quels dirigeants était-il le plus proche ?

Pour Chirac, l’« amitié » était une valeur ajoutée en politique. Quand un président africain montrait de bonnes dispositions envers la France, il essayait de s’en faire un « ami ». Et plus ce chef d’État avait de l’influence, plus Chirac cultivait sa relation avec lui. D’où les grandes « amitiés » Chirac-Houphouët et Chirac-Bongo. L’ancien président français se disait aussi le « grand ami » du Togolais Gnassingbé Eyadema et du Congolais Denis Sassou Nguesso. Avec l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, la relation « amicale » a continué après le départ de Chirac de l’Élysée. En effet, Diouf est entré dans la Fondation Chirac pour le développement durable et le dialogue des cultures. Et quand, le 26 avril 2008, Diouf a « marié » l’une de ses filles à Paris, à la mairie du 7e arrondissement, le couple Chirac s’est déplacé. Autre chef d’État pour qui Chirac avait une véritable affection – presque paternelle –, le roi Mohamed VI du Maroc. À la mort de son père Hassan II, en 1999, Chirac a guidé ses premiers pas sur la scène internationale. Et en retour, quand le jeune roi a décidé de prendre une épouse, il a présenté sa fiancée à Chirac avant tout le monde.

Jacques Chirac, qui aimait se présenter comme l’héritier du gaullisme, avait-il poursuivi la politique africaine de De Gaulle ou avait-il tenté d’imprimer une rupture par rapport à la politique traditionnelle française du pré-carré africain ?

Pour Chirac comme pour Foccart, un peuple africain s’incarnait dans son chef, quel qu’il soit. Les rapports entre la France et l’Afrique étaient donc fondés sur une relation d’homme à homme, une relation personnalisée entre deux chefs d’État. Et comme il privilégiait toujours le pré-carré, un bon président africain était à ses yeux un président ami de la France et de lui-même. Pour lui, le respect de la démocratie et des droits de l’homme n’était donc pas prioritaire. Il aimait d’ailleurs cette boutade : « Il faut laisser les présidents africains remporter les élections, sinon ils n’en organiseront plus. » Et tous les Tunisiens se souviennent de sa petite phr...   

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