Dans la nuit du 20 au 21 septembre 1979, l’empereur auto-proclamé Jean-Bedel Bokassa était renversé par une opération militaire française. À l’époque c’est l’euphorie, on veut détruire tout ce qui est lié au régime de Bokassa. Mais aujourd’hui à Bangui, c’est avec un regard bienveillant qu’est regardé l’héritage de Bokassa.
« Évreux, septembre 1979. Il y a vingt heures maintenant qu’une Caravelle bleue et blanche, immatriculée TL AAI, s’est posée, sur la base militaire 105. À l’intérieur ils sont vingt-six à se partager les fauteuils bleu azur de l’avion, cadeau, en son temps, du président Pompidou au chef de l’État centrafricain, Jean-Bedel Bokassa, qu’un coup d’État vient de renverser. » Ce texte est extrait du livre de Jacques Duchemin, ancien ministre de la Communication de Bokassa. Il y raconte son expérience dans un ouvrage romancé sur la vie de l’Empereur et de ses souvenirs à la Cour impériale. Plusieurs passages croustillants y décrivent Jean-Bedel Bokassa dans tous ses états.
La nostalgie prédomine dans la capitale
Si aujourd’hui ces souvenirs pourraient prêter à sourire, à Bangui, le sentiment est tout autre. C’est bien la nostalgie qui prédomine dans la capitale autrefois surnommée Bangui la Coquette. « Il faut remettre Bangui en Coquette », réclame ce vieux chauffeur de taxi exaspéré. Lorsque l’on arpente les rues cabossées de la capitale, les traces de Bokassa sont partout. Ministère des Affaires étrangères, université, avenue des Martyrs, palais présidentiel de la Renaissance… Les fondements de la capitale centrafricaine ont été élevés par l’empereur ou à son époque.
Si l’héritage architectural est bien présent, il est le plus souvent en mauvais état faute d’entretien. Peu de choses restent du mobilier qui a massivement été pillé lors de la chute. « Les pillages ont commencé d’abord là où il y a eu le couronnement, le centre omnisport. On a vu les charrettes qui transportaient Bokassa qui sortaient », se souvient Vincent Kongo, un haut cadre de l’administration de cette époque, témoin de ces scènes. « On était un peu écœuré, mais les gens ne voyaient pas la gravité de la chose, que c’était un endroit historique qu’il fallait protéger parce que ça aurait pu servir aujourd’hui de musée. » Aujourd’hui, très peu d’objets sont visibles au musée de Bangui.
Souvenir d’une époque fastueuse
C’est un sentiment d’âge d’or qui aujourd’hui prédomine. Malgré la banqueroute de fin de règne, les salaires des fonctionnaires impayés, à Bangui, on garde en mémoire le souvenir d’une époque fastueuse. Henri Gouandja, un des opposants de l’empereur, insiste sur ce point : « À l’époque il y avait beaucoup d’entreprises, plus de 200 à Bangui. Maintenant, il y en a peut-être quatre ou cinq, c’est tout ! C’était un dictateur, mais il y avait des entreprises et ça marchait… Il y avait un développement économique, la RCA n’était pas un pays pauvre, comme aujourd’hui… »
L’Empereur avait notamment lancé l’« opération Bokassa », vaste programme d’économie agricole : coton, café, cacao… En ville, les traces d’une ancienne conserverie sont présentes et en région comme à Batangafo, on peut voir les murs d’une ancienne manufacture. Les populations se souviennent d’une époque d’activité où les champs étaient cultivés et où les devises rentraient. La nostalgie d’une période faste d’autant plus exacerbée par les années de conflit de ces dernières années qui a conduit à l’occupation d’une partie du territoire par des groupes armés, empêchant la tenue normale des activités économiques.
Le père de 56 enfants
L’héritage Bokassa est aussi bien sûr familial. Jean-Bedel Bokassa revendiquait la paternité de 56 enfants. Un patronyme lourd à porter surtout au moment du coup d’État. À ce moment-là, une partie de ses descendants changent de patronyme pour des questions officiellement de sécurité. Aujourd’hui, la plupart des enfants Bokassa se font discrets. Certains – qui ont décidé de sortir de l’anonymat – font un portrait de leur père peu élogieux.
C’est le cas de Marie-France Bokassa dans son livre récemment paru « Au château de l’ogre ». Mais ce nom, l’un de ses fils – sans doute le plus connu à Bangui – l’assume. « Porter le nom Bokassa reste et demeure un honneur et est un tout qui doit non seulement s’assumer, mais on doit se montrer digne de pouvoir le porter », affirme Jean-Serge Bokassa. Impliqué en politique, il entend bien redorer le blason de ce nom encore aujourd’hui si décrié. « Une société se construit avec des modèles, ajoute-t-il. Nous gagnerons à nous laisser inspirer par son patriotisme, sa rigueur au travail, son sens élevé de l’honneur, etc ».
Ce nom qui a fait trembler la République française, qui a coûté la réélection du président Valéry Giscard d’Estaing et semble faire toujours peur même à Paris. RFI a sollicité l’accès aux archives de Bokassa pour la réalisation de son dossier, mais s’en ai vu refuser l’accès.