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Annonce d’un «grand dialogue» au Cameroun: entre optimisme et méfiance totale

Le président camerounais Paul Biya a annoncé mardi 10 septembre la convocation fin septembre d’un « grand dialogue national » sur le conflit meurtrier entre des groupes séparatistes de la minorité anglophone et les forces de sécurité dans l’Ouest, au moment où son régime fait juger pour « insurrection » des leaders de l’opposition. Ce dialogue sera présidé par le Premier ministre Joseph Dion Nguté et rassemblera les différentes composantes sociales, y compris des représentants des forces de défense et de sécurité, ainsi que ceux des groupes armés. Mais beaucoup de zones d’ombres planent encore sur les contours de ce futur dialogue.

Pour plusieurs observateurs, ce discours marque un véritable tournant, une impulsion nouvelle. Pour la première fois, le président camerounais s’exprime publiquement et de manière précise dans un discours centré sur la crise anglophone.

Selon une source bien informée, ce dialogue pourrait avoir lieu au palais des Congrès à Yaoundé. Il serait retransmis en direct à la télévision nationale. Le gouvernement a déjà pris des contacts sur le terrain avec différentes factions séparatistes. Certaines seraient prêtes à dialoguer, quand d’autres posent leurs conditions : la libération de tous les prisonniers anglophones, dont Sisiku Ayuk Tabe qui vient d’être condamné à la prison à vie.

Pour eux, ce dialogue, s’il ne se tient pas à l’étranger, doit offrir des garanties suffisantes pour la sécurité des participants. Ils auraient souhaité un dialogue sous l’égide d’une médiation internationale et un cessez-le-feu.

« Effets en trompe l’œil » ?

Au-delà de la question de la crédibilité de ces représentants sécessionnistes, se pose aussi la question du contenu. « Même si ce n’est que le début du processus, cela va dans le bon sens et c’est au moins ça, se réjouit pour sa part un patron de presse. Mais attention aux effets en trompe-l’oeil. »

Il y a un an, le cardinal Christian Tumi, archevêque émérite de Douala avait pris l’initiative d’organiser une Conférence générale anglophone afin de trouver une solution à la crise. Mais l’idée a été mal accueillie par le pouvoir et l’initiative n’avait jamais abouti. Aujourd’hui, cet appel au dialogue du chef de l’État est une avancée réelle, selon le cardinal.

En écoutant le président, je crois en sa bonne volonté. Je crois qu’il a la volonté de tout faire pour que ces problèmes soient résolus une fois pour toutes. Parce que ça nous coûte cher : cela nous coûte des vies humaines, cela nous coûte la vie économique du pays. Le Premier ministre vient de déclarer que le sud-ouest et le nord-ouest sont économiquement sinistrés. Et donc il faut que l’on se rencontre pour s’expliquer mutuellement pour s’entendre. Et si nous parlons dans la vérité et dans l’honnêteté intellectuelle, je crois que beaucoup de nos problèmes seront résolus. Il faut que l’on écoute tout le monde. Même le diable peut dire la vérité.

Cardinal Tumi: «Il faut que l’on écoute tout le monde»
11-09-2019 – Par Carine Frenk

Le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac) a longtemps appelé à l’organisation d’un dialogue national. Pour sa directrice exécutive, Maximilienne Ngo Mbé, les autorités doivent maintenant veiller à ce qu’il attire le plus grand nombre de participants.

On ne voit pas très bien comment procéder à un grand dialogue national avec des personnes, qui représentent quand même une certaine communauté, qui sont encore en prison et dont on ne sait pas quel sera le sort

Maximilienne Ngo Mbé: «Mieux vaut tard que jamais»
11-09-2019 – Par Michel Arseneault

Les indépendantistes demandent plus de garanties

Enfin, tout le monde n’est pas convaincu par l’initiative. Pour les indépendantistes, qui se font appeler « gouvernement intérimaire de l’Ambazonie », les conditions ne sont pas réunies pour de tels pourparlers.

« Nous sommes prêts à dialoguer mais il faut que les conditions soient rassemblées pour qu’il y ait un dialogue pouvant aboutir à des solutions palpables et durables. Les conditions sont la libération des prisonniers politiques ; il faut un cessez-le-feu et un arrêt des combats sur le terrain ; il faut qu’il y ait des garanties de la présence de la communauté internationale par exemple », explique Gabila Nubong Fohtung, leur porte-parole ajdoint, qui ne fait « absolument pas » confiance au président Biya.

Les combats et les exactions de part et d’autre ont fait plus de 2000 morts depuis début 2017, selon Human Rights Watch. Plus de 530 000 personnes ont été forcées de fuir leur domicile, selon l’ONU, dans ces régions peuplées majoritairement par la minorité anglophone qui représente un peu plus de 16 % de la population du Cameroun.

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