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Ebola en RDC: qui a tué le docteur de l’OMS Richard Mouzoko?

La justice militaire congolaise accuse quatre médecins de Butembo d’être parmi les  « auteurs moraux » de l’assassinat du docteur camerounais Richard Mouzoko de l’Organisation mondiale de la santé. Trois d’entre eux sont détenus. L’ordre de médecins de cette localité menace de « grève sèche », y compris les centres de transit et de traitement de la maladie à virus Ebola. Enquête.

« On attend le conseil provincial de l’ordre de médecins », explique le docteur Kalima Nzanzu, président du conseil local de Butembo. C’est dans cette localité de l’est du Congo qu’a été tué le « docteur Richard », le 19 avril 2019 au cours d’une attaque contre le centre de santé Horizon imputé à de présumés Maï-Maï. Ce médecin camerounais était nouveau à Butembo, déployé depuis quelques semaines à peine pour le compte de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). La ville était sous le feu d’attaques depuis presque deux mois, sa mort a constitué le paroxysme d’une violence à l’égard d’une coordination de la riposte héritée des précédentes épidémies survenues dans d’autres régions du Congo ou d’Afrique de l’Ouest. Ces groupes armés accusaient ces agents d’avoir « créé » Ebola, de s’enrichir sur le dos de la population locale, ils avaient multiplié les raids contre les centres de traitement et autres structures de la riposte contre une épidémie considérée depuis la fin juillet comme une « urgence mondiale » par l’OMS.

La menace d’une grève sèche dans la zone Ebola

Le docteur Kalima Nzanzu attend. Mais lui et ses collègues ont prévu de se retrouver ce samedi à 9h pour évaluer les suites à donner à leur préavis de grève. Le conseil de l’ordre des médecins de Butembo a menacé de « grève sèche » dans les 48h par un communiqué daté du 6 août 2019 si la justice militaire ne remet pas en « liberté provisoire » trois médecins locaux « essentiels à la riposte » arrêtés dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat. Toutes les structures de santé seront concernées à Butembo et dans la région, « sans oublier les centres de transit et de traitement de la maladie à virus Ebola ». C’est ce que leurs collègues de Goma aimeraient éviter en pleine épidémie d’Ebola qui dure déjà depuis plus d’un an. Le vol de la Mission des Nations unies au Congo qui devait les emmener à Goma à Butembo a dû être reporté à ce samedi 10 août 2019. « Nous les entendons, mais on va faire l’état des lieux de notre côté », insiste le docteur Kalima Nzanzu.

L’émotion est forte à Butembo où l’on parle volontiers de « nouveau complot contre les Nande », l’une des principales ethnies vivant dans les zones affectées, ou « contre le système de santé local ». Les quatre médecins, des fils du pays, sont bien connus dans cette région, comme de la coordination de la riposte. « Les docteurs Luendo et Mundana étaient dans la même équipe d’investigation qui avait envoyé les six premiers échantillons à Kinshasa le 29 juillet 2018 qui se sont avérés positifs », dit-on dans l’entourage de ces médecins. Ce sont ces prélèvements qui auraient permis au ministère congolais de la Santé de déclarer l’épidémie le 1er août. Ils faisaient partie, selon leur entourage, d’un groupe de médecins locaux qui aurait proposé un plan alternatif de riposte « qui devait mieux prendre en compte les intérêts des communautés ». Pour le conseil local de l’ordre, avec ces arrestations, des « services clés » sont « décapités », comme notamment les services de transfusion sanguine, de prévention et contrôle des infections. Ses dirigeants ne croient pas en la responsabilité de leurs confrères et disent avoir multiplié les interpellations auprès des autorités.

Des travailleurs paramédicaux dans un centre de traitement d’Ebola le 9 mars 2019 à Butembo en République Démocratique du Congo. © AFP

« Des médecins qui ont cherché à détruire la riposte »

La justice militaire congolaise dit avoir arrêté 54 personnes dans le cadre des attaques contre la riposte à Butembo sur lesquelles 24 auraient « avoué », dont l’un de ceux qui ont tiré sur le docteur Richard Mouzoko. Pour l’auditeur général de l’armée, numéro 1 du parquet militaire congolais, le général Timothé Mukuntu, l’affaire est sérieuse : « Nous sommes en train de tout vérifier, mais nous ne pouvons pas garder dans la riposte des médecins qui ont cherché à détruire la riposte ». Une source au sein de la justice militaire congolaise précise : « deux chefs Maï-Maï et deux agents de la riposte recrutés localement, tous aux arrêts ont accusé deux des médecins ».  Ils auraient donné les noms des docteurs Jean-Paul Mundama Witende et Gilbert Kasereka, sans doute deux des figures locales les plus connues de la riposte, accusés même d’avoir donné de l’argent aux Maï-Maï pour attaquer le centre Horizon. Ce serait ce dernier, Gilbert Kasereka, qui aurait « dénoncé » les deux autres médecins, Hyppolite Kisako Sangala et le docteur Aurélien Luendo Paluku pour avoir participé à des réunions « visant à faire partir les étrangers de la riposte, tous ceux qui ne venaient pas de Butembo ».

Dans le dossier d’enquête, le parquet militaire évoque deux réunions, l’une « préparatoire » en décembre et une deuxième en janvier où ces médecins auraient décidé d’agir. Son chef, le général Timothée Mukuntu confirme : « au cours de ces réunions, selon le témoignage du docteur Kasereka, ils ont estimé qu’il y avait des inégalités de traitement entre le personnel local et les étrangers à cette région et qu’ils devaient faire partir ces médecins étrangers ». Le patron du parquet militaire congolais assure que ses services ont essayé de se montrer compréhensifs. « Nous avons aussi eu des cas de médecins qui, parce qu’ils craignaient pour leur sécurité, ont donné un peu d’argent aux Maï-Maï », explique-t-il, en assurant que tous ces praticiens avaient été relaxés « au vu du contexte et de la situation sécuritaire ».

Capture d’écran de l’hommage au docteur Richard Mouzoko publié sur le site de l’OMS © Capture d’écran

Une « main noire » pour « opposer la riposte aux communautés »

Ces groupes Maï-Maï contrôlent des zones affectées dans lesquels les agents de la riposte essaient de se rendre. Au sein de la société civile de Butembo, un activiste pointait l’arrestation de deux collaborateurs de l’ANR dont un chauffeur dans les attaques contre la riposte pour preuve de la complexité des relations entre ces groupes et le « milieu ».  L’un des deux, neveu d’un des chefs de groupe armé arrêtés, lui aurait demandé d’assassiner l’évêque de Butembo pour son appui à la riposte. « C’est vrai qu’il y avait beaucoup de colère contre la riposte, mais il y a eu aussi beaucoup de manipulation », insiste cet activiste.

Du côté de l’équipe de défense des quatre médecins, on est excédé par tout, mais on refuse « à ce stade de l’instruction » de parler publiquement. Un avocat dénonce une « procédure irrégulière », avec des détentions de longue durée sur de simples « mandats de comparution ». Le docteur Mundana, parmi les principaux mis en cause, était « absent » de Butembo, il était en voyage à Nairobi pour raisons familiales. Aujourd’hui, selon cet avocat, il se trouverait à l’extérieur du pays. Mais comme ses collègues, « il avait continué à travailler au sein de la riposte » après la mort du docteur Richard Mouzoko et n’avait « aucun conflit » avec la victime. « Il faudra quand même que le parquet militaire nous explique le lien entre ces réunions et le meurtre quatre mois plus tard », renchérit-il.

Même les informations sur le contenu des réunions évoquées par le parquet sont contestées. « Il y avait quatre médecins, huit agents de la santé et des représentants de la direction provinciale de la santé à l’une de ces réunions et on veut nous faire croire que c’était un centre d’opération contre la riposte ». Toujours selon la défense, lors d’une première confrontation entre le docteur Kasereka et ses collègues cette semaine, le médecin « n’a pas répété les mêmes accusations » que celles contenues dans le dossier d’instruction et « aucun autre accusateur ne leur aurait été présenté ».

Les trois autres médecins démentent en bloc avoir cherché à déstabiliser la riposte. Un proche reconnaît qu’il existait  « un mécontentement des personnels locaux de santé », y compris chez ces médecins, sur l’inégalité de traitements et plus largement sur la stratégie de la riposte vis-à-vis des communautés locales. « Mais ce sont des médecins installés et reconnus, pas des idiots qui pensent obtenir quoi que ce soit en s’attaquant des centres de santé ou des médecins étrangers. », insiste ce proche des médecins incriminés. Il conclut dans un soupir: « À croire qu’il y a une main noire qui cherche à fragiliser la riposte et à l’opposer aux communautés ».

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