L’Espagne, le premier pays à reconnaître la junte qui s’est emparée du pouvoir à Malabo le 3 août 1979, savait que des militaires se préparaient à renverser le président de la Guinée équatoriale. Le gouvernement espagnol avait même accueilli la famille du lieutenant-colonel quarante-huit heures avant le coup d’État, souligne un télégramme du ministère français des Affaires étrangères récemment déclassifié.
Dans la première conférence de presse qu’il donne après le putsch, le lieutenant-colonel Teodoro Obiang Nguema affirme qu’il n’a bénéficié d’aucune aide étrangère. L’Espagne était toutefois au courant des préparatifs du coup d’État. Quelques jours après le renversement du président Macías, le ministère espagnol des Affaires étrangères dira avoir été informé de « mouvements de nature militaire » dans l’ex-Guinée espagnole « un certain temps » auparavant.
Combien de temps exactement ? L’ambassadeur de France à Malabo, Hubert Cornet, relève que Teodoro Obiang a envoyé son épouse et leurs quatre enfants à Madrid deux jours avant le putsch du 3 août 1979. Teodoro Obiang dit quant lui avoir mis au parfum le Premier ministre espagnol Adolfo Suarez et le roi Juan Carlos, « plusieurs jours » avant son putsch. Dans son autobiographie, Mi vida por mi pueblo (Ma vie pour peuple), parue en 2002, Obiang omet de préciser qu’il a alors demandé l’aide militaire de l’Espagne – une « force de protection » que Madrid lui a refusée, selon le journaliste Juan Maria Calvo Roy, auteur de Guinea Ecuatorial : la ocasión perdida (Sial Pigmalion).
« L’envoi de troupes a fait l’objet de discussions entre Adolfo Suarez et l’opposition socialiste », explique-t-il à RFI. « Mais les socialistes ont refusé de donner leur feu vert parce qu’une intervention espagnole leur semblait trop « néocolonialiste ». »
Vu le refus de l’Espagne, le chef des putschistes se toure alors vers le Maroc, sur les conseils du président Omar Bongo du Gabon. « Bongo a dit à Obiang : les Marocains parlent espagnol, vous allez vous entendre », croit savoir Juan Maria Calvo Roy.
Hassan II s’empressera de dépêcher une garde prétorienne de 80 personnes pour assurer la protection de Teodoro Obiang et de son Conseil militaire suprême, un contingent marocain qui ne quittera la Guinée équatoriale que trois décennies plus tard. Le nouveau maître de Malabo aura tôt fait de reconnaître à Rabat le « droit absolu » de sauvegarder son intégrité territoriale. Contrairement à Francisco Macías, qui soutenait la République sahraouie du Front Polisario.
Les insurgés feront tout en leur pouvoir pour relancer les relations Madrid-Malabo, exécrables sous Macías, qui avait chassé des missionnaires catholiques et accusé l’Espagne de soutenir le mouvement sécessionniste chez les Bubi, peuple de l’île de Bioko, au début des années 1970. Les derniers ressortissants espagnols qui étaient encore sur place, des professeurs des écoles et des pilotes d’avion de la compagnie nationale équato-guinéenne, avaient été contraints de fuir à leur tour. Les familles des colons, dont des propriétaires de grandes plantations, étaient déjà partis depuis longtemps.
Une « nation-mère » renoue avec son ancienne colonie
Dans le courrier envoyé au roi Juan Carlos avant même le pronunciamiento, Teodoro Obiang exprimait son désir de resserrer les liens avec le royaume. Madrid ne fera pas la sourde oreille. Dès le 6 août 1979, la radio d’État espagnole, Radio Nacional, annonce qu’une mission espagnole se rendra à Malabo.
Les insurgés tiennent eux aussi à renouer avec Madrid. Devant 5 000 personnes réunies au stade de Malabo à l’occasion de la fête nationale (le 12 octobre 1979), le président Obiang – investi deux jours auparavant – dira tout le bien qu’il pense de l’Espagne, « notre mère », la « nation-mère ». Quelques mois auparavant, son prédécesseur avait fait scander au public des slogans antiespagnols dans ce même stade. En 1976, Francisco Macías y avait même fait fusiller des opposants.
La nouvelle junte annoncera bientôt que les plantations confisquées à leurs propriétaires terriens espagnols leur seront restituées et que l’accord de pêche avec l’Union soviétique, superpuissance qui suscite la hargne dans une capitale où le poisson est quasi introuvable, sera renégocié avec… l’Espagne. Pour sceller ces retrouvailles, le roi Juan Carlos et la reine Sofía se rendront à Malabo, quatre mois plus tard, avec une suite de 150 personnes.
L’ancienne Guinée espagnole n’est plus le sujet tabou qu’il était sous Franco. À l’époque, Madrid censurait toutes les informations concernant sa colonie. Cette censure continuera jusqu’en 1976, c’est-à-dire huit ans après la victoire du « oui » au référendum sur l’indépendance. Mais, en 1979, la Guinée équatoriale a le vent en poupe à Madrid. Le spectaculaire programme de coopération que lance l’Espagne, qui lui permet de placer des conseillers dans des ministères stratégiques à Malabo, connaîtra toutefois des ratés tout aussi spectaculaires, selon le journaliste Juan María Calvo Roy, en poste en Guinée équatoriale au début des années 1980.
La France aux aguets
Si l’Espagne est en pole position, la France espère elle aussi profiter du coup d’État pour avancer ses pions. Dans un premier temps, elle reste prudente. La Guinée équatoriale de l’ex-président Macias a brouillé les cartes. En théorie non aligné, le pays s’associé, non seulement à l’URSS, mais également à la Chine et à la Corée du Nord. Paris cherche à comprendre les orientations politiques du nouvel homme fort, qui semblent ambiguës, d’autant plus que son gouvernement comprend « à la fois des victimes et des complices de l’ancien régime », précise une note destinée au ministre français des Affaires étrangères, Jean François-Poncet.
Paris finit par conclure que le coup d’État « de la liberté » porte la marque du libéralisme économique, ce dont on se réjouit au Quai d’Orsay. Un rapprochement Paris-Malabo se confirmera à partir des années 1980 avec l’adoption du franc CFA, l’adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et la participation aux sommets France-Afrique. Le Gabon et le Cameroun, deux pays francophones qui se méfiaient de Francisco Macías à l’époque où il tendait la main à Moscou, se félicitent eux aussi de l’arrivée au pouvoir des insurgés, et ce ne sont pas les seuls.
Quelques semaines avant la chute de l’« Unique Miracle », l’Organisation de l’unité africaine (OUA), d’ordinaire peu encline à critiquer les chefs d’État africains, avait condamné Francisco Macías lors de son sommet de Monrovia. Elle l’avait fait – et ce n’est pas un hasard – à l’instigation du président Godfrey Binaisa, qui venait de succéder à Idi Amin Dada en Ouganda. Lui aussi, comme Macías, comme Bokassa, était allé trop loin. L’OUA n’allait certainement pas inviter Teodoro Obiang à renverser son encombrant prédécesseur mais…
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