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Sahel: cinq ans après sa création, Barkhane peine toujours à convaincre

C’est la plus grosse opération extérieure dans laquelle l’armée française est engagée. Barkhane a aujourd’hui 5 ans. Quelque 4 500 militaires français sont déployés dans cinq pays : le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, pour un budget annuel de 700 millions d’euros. Intervenue après l’opération Serval au Mali, Barkhane devait initier une phase de stabilisation, mais cinq ans plus tard, l’opération semble s’être ensablée.

Quand elle est lancée, l’opération Barkhane a un objectif clair : lutter contre le terrorisme dans le Sahel, pour éviter qu’il ne frappe aux portes de l’Europe. « Le but de cette présence, c’est d’empêcher que l’autoroute de tous les trafics ne devienne un lieu de passage permanent de reconstitution des groupes jihadistes, ce qui entrainerait des conséquences graves pour notre sécurité », explique en août 2014 sur l’antenne de BFM, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense.

Barkhane intervient après Serval, une opération lancée un an et demi plus tôt pour bloquer l’avancée sur Bamako, de groupes terroristes venus du Nord du Mali. Avec Serval « nous avons empêché la création de ce qu’on appelle un Sahélistan, explique sur notre antenne en 2016, le général Patrick Bréthous alors commandant de Barkhane. Trois ans plus tard, la situation est stabilisée au Mali. Il y a un accord de paix qui est signé et mis en œuvre. Il y a encore quelques résurgences et c’est contre ces derniers irréductibles que nous luttons. »

Des troupes des forces armées maliennes et des soldats français effectuent une patrouille conjointe lors de l’opération Barkhane régionale anti-insurgés dans Inaloglog, au Mali, le 17 octobre 2017. © REUTERS/Benoit Tessier/File Photo

Montée en puissance des armées sahéliennes

En parallèle, la France et ses partenaires européens doivent accompagner la formation des armées des pays du Sahel, et leur montée en puissance. Une politique qui culmine avec le lancement, en juillet 2017, de la force conjointe du G5 Sahel, bras armé d’une entité politique lancée quelques années auparavant.

Le projet du G5 Sahel est ambitieux : les armées des cinq pays doivent mutualiser hommes et moyens, sous un commandement unique, pour lutter contre le terrorisme dans la région, au niveau des frontières de chaque État.

« Un jour ou l’autre l’opération Barkhane s’achèvera, avait annoncé le général Patrick Bréthous. Nous sommes probablement là pour quelques mois ou quelques années, et au fur et à mesure, Barkhane petit à petit laissera la place à une autonomie de ces pays. »

Mutation du conflit

La suite des évènements n’a pas donné raison au plan français qui s’est heurté, notamment, à deux difficultés majeures.

D’abord sur le plan opérationnel : Barkhane a connu quelques victoires. L’opération a notamment affaibli l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara) dans la région de Ménaka, à l’Est du Mali, mais les groupes terroristes ont su s’adapter. « Barkhane, en un sens a changé la donne dans le Sahel, explique Mahamoudou Savadogo, chercheur sur les questions de sécurité au Burkina Faso. Mais les terroristes ont su s’adapter. Ils ont changé leur mode opératoire, sont devenus plus mobiles en utilisant des motos. De plus, ils se sont déplacés, étendant largement le front des combats. »

Les terroristes se sont repliés dans le Nord du Burkina et ont même investi l’Est du pays qui connaît une recrudescence de violences inouïes ces derniers mois.

Autre changement majeur : les groupes jihadistes ont adopté la stratégie du « terrorisme communautaire ». « Ils s’intègrent au sein des populations et les utilisent pour atteindre leur objectif », poursuit Mahamoudou Savadogo.

Depuis deux ans, le centre du Mali, et aujourd’hui le Nord du Burkina, connaissent une flambée de violences intercommunautaires. Le massacre du village malien d’Ogossagou, en mars, a fait près de 160 morts. Celui d’Arbinda au Burkina, plus de 60. Les terroristes instrumentalisent des tensions anciennes et les conflits pour les ressources naturelles se transforment en tragédies. Les populations se retrouvent entre le marteau et l’enclume : accusées par les uns de collaborer avec les terroristes et par les autres d’être vendues aux forces étrangères.

« Les violences intercommunautaires, c’est vraiment le risque majeur, explique le général Frédéric Blachon en avril sur notre antenne. On connait après le cycle de représailles donc c’est vraiment la hantise de toutes forces armées. Ces combats intercommunautaires peuvent avoir des tas de raisons, et c’est à nous d’éviter d’en rajouter », conclut celui qui était alors commandant de Barkhane.

Ensablement

Pendant que le conflit change de visage, la montée en puissance du G5 Sahel, n’avance toujours pas, faute de financement.

Un soldat de l’armée malienne garde l’entrée du G5 Sahel le 30 mai 2018. © AFP/Sebastien Rieussec

Pire, certaines armées des pays sahéliens, loin d’avoir amélioré leurs capacités opérationnelles, ont perdu beaucoup de crédit dans des bavures et des atteintes aux droits de l’homme pointées du doigt par les ONG. Des charniers, découverts l’année dernière dans le centre du Mali provoquent l’indignation. Dans son rapport d’enquête sur les évènements de Boulikessi, en mai 2018, la Minusma, la force de maintien de la paix des Nations unies, conclut à « des exécutions sommaires de civils par les militaires maliens de la force conjointe du G5 Sahel ». Le plan de sortie de Barkhane, semble de plus en plus compliqué.

Un sentiment anti-français

Alors que la menace terroriste s’étend, que les attaques se poursuivent, que des civils meurent dans des conflits intercommunautaires sans provoquer ni enquête, ni sanction, la présence d’une force étrangère est de plus en plus difficile à accepter pour les populations locales qui ne voient pas la situation s’améliorer.

Au Mali notamment, Barkhane et la Minusma sont de plus en plus critiquées. Il y a une réelle incompréhension de l’action et du mandat de ces forces étrangères.

« Lorsqu’il y a eu les otages français au Bénin, la force française est intervenue rapidement, explique Boureima Allaye Touré, président du Conseil national de la société civile du Mali. Mais quand un village malien est attaqué, et que pendant toute une nuit, et une demi-journée, personne n’intervient, on se dit qu’il y a un poids et deux mesures. Nous ne connaissons pas toutes les ficelles politiques qu’il y a autour de ça. Mais nous, citoyens lambda de la rue, nous ne comprenons pas. » Le Conseil national de la société civile du Mali, demande aujourd’hui qu’un audit soit fait de la présence armée étrangère sur le territoire national.

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