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Maroc: «Le roi n’a pas réduit les inégalités sociales»

Au lendemain du discours du roi du Maroc Mohammed VI, entretien avec l’économiste marocain Najib Akesbi, membre du Parti socialiste unifié.

Le roi Mohammed VI a promis lundi une « étape nouvelle » pour réduire les « disparités criantes » du Maroc en annonçant notamment un remaniement gouvernemental, à l’horizon de la rentrée prochaine, pour apporter du sang neuf. Le souverain s’exprimait lors d’un discours prononcé dans son palais à Tétouan, à l’occasion de ses 20 ans de règne, célébrés mardi avec la traditionnelle Fête du Trône. Malgré une modernisation importante, l’économie marocaine reste, en effet marquée par les inégalités, comme l’explique l’économiste Najib Akesbi.

RFI : En 20 années de pouvoir, le roi Mohammed VI a-t-il pu réduire les inégalités ?

Najib Akesbi : Personne, à commencer par les autorités, ne va jusqu’à dire que le roi a réduit les inégalités. Même les officiels, aujourd’hui, lorsqu’ils évoquent le développement de l’économie, émettent des réserves sur la question des inégalités. Le Marocain en 2019 vit globalement un peu mieux qu’il y a 20 ans, mais les inégalités entre les Marocains se sont accentuées sur les 20 dernières années, comme elles s’étaient accentuées auparavant. Je pense que c’est un des aspects négatifs de ces deux dernières décennies.

Pourquoi ces inégalités ne se résorbent-elles pas, alors que la richesse globale, elle, a augmenté ?

Relativisons les choses. Sur les 20 dernières années, le taux de croissance moyen oscille entre 3 et 4 %. Surtout, la croissance au Maroc reste à la fois faible – elle décline même ces dernières années – et demeure extrêmement volatile. Car en dernière instance, elle est très liée aux aléas climatiques dont dépend en grande partie l’agriculture, laquelle détermine encore l’essentiel du PIB. Donc, on est encore dans un schéma très précaire et incertain.

À ceci, il faut ajouter les choix qui ont été faits. Nous avons fait le pari de l’économie de marché et du secteur privé, c’est un peu la fameuse théorie du ruissellement, ainsi que celui de l’intégration à l’économie mondiale, c’est la fameuse théorie de la croissance tirée par les exportations. Le problème est que ces deux paris, à la fois sur le secteur privé et l’extérieur, ont été perdus. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les statistiques qui le montrent.

Il y a quand même eu création de nouveaux pôles industriels, et croissance des exportations. En quoi ces paris ont-ils été perdus ?

C’est l’arbre qui cache la forêt. Entendons-nous bien… C’est Renault ou Peugeot qui investissent au Maroc, et qui exportent à partir du Maroc. Je veux dire que si demain, pour des raisons qui dépendent de la stratégie de Renault, cette société décide de quitter le Maroc et d’aller ailleurs, l’industrie disparaît et se volatilise. C’est une industrie de sous-traitance qui s’inscrit dans des chaînes de valeur internationales, et qui reste à la merci totale de ces décideurs que sont les multinationales.

Alors il est vrai que les exportations se sont développées, mais la valeur ajoutée pour le pays reste très faible. Est-ce que ces industries de sous-traitance ont pu réussir à redresser la balance commerciale ? On en est loin. Le taux de couverture des importations par les exportations se situe autour de 56 ou 57 %. Cela veut dire que l’on continue d’importer deux fois ce que l’on exporte. Ce sont les réalités. On est loin de l’idée de départ qui était de faire en sorte que les excédents d’exportation devaient enclencher une dynamique de croissance interne.

Les politiques mises en œuvre n’ont donc pas été suffisamment redistributives ?

Ce que je veux dire, c’est que les grands choix économiques ayant été des combats perdus, et ce au niveau sectoriel comme l’agriculture ou l’industrie par exemple, en réalité, on a surtout enrichi une minorité. Justement, la minorité qui était avantagée, promue, subventionnée par l’Etat pour réussir, et notamment une certaine frange du secteur privé. Mais en même temps, les politiques transversales qui auraient pu atténuer les inégalités, ont en réalité accentué les inégalités.

A cause d’une fiscalité inefficace ?

Oui. Tout le monde reconnaît aujourd’hui au Maroc que le système fiscal est à la fois inefficace et surtout inéquitable. Il pèse essentiellement sur la classe moyenne, alors qu’il contribue à enrichir les privilégiés de toujours.

Vous dites que tout le monde en est conscient. Est-ce que des correctifs ont été apportés ?

Il y a toujours beaucoup de paroles à propos du système fiscal. Nous venons juste de tenir les assises de la fiscalité. Au cours de ces assises, une centaine de recommandations ont été faites promettant d’apporter des correctifs. Malheureusement, la montagne va accoucher d’une souris. Car cette semaine, au Conseil de gouvernement, le Premier ministre a présenté ce qu’il croit avoir retenu des recommandations des assises de la fiscalité, pour les traduire dans les cinq prochaines lois de finances à venir.

Il n’est nullement question d’une plus grande harmonisation entre l’imposition des revenus du capital et du travail, ni d’une meilleure progressivité de l’impôt sur le revenu, ni encore d’une meilleure fiscalisation de l’agriculture. Toutes les mesures avancées durant les assises fiscales qui pouvaient laisser espérer un système plus équitable ont été passées à la trappe. Manifestement, on n’a toujours pas compris. On sait que de par le monde, le capitalisme a une dimension d’exclusion, mais ici, on n’est pas simplement dans l’exclusion à cause du modèle capitaliste, mais plutôt dans des politiques délibérément inégalitaires.

À lire aussi – Migrations, finances, intégration régionale: le Maroc joue la carte «Afrique»

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