La mort de Béji Caïd Essebsi à l’âge de 92 ans, à quelques mois de la fin de son mandat, plonge la Tunisie dans une nouvelle période post-révolutionnaire. Ses funérailles, samedi 27 juillet, devraient attirer une foule nombreuse et de nombreux chefs d’État. La présidentielle anticipée est prévue pour le 15 septembre.C’est le président du Parlement, Mohamed Ennaceur, qui assure l’intérim au palais de Carthage. Retour sur le bilan de celui que l’on appelait de son acronyme BCE et que certains considèrent déjà comme le père de la transition démocratique.
Béji Caïd Essebsi restera dans l’histoire comme le premier président tunisien démocratiquement élu. Fruit d’un scrutin qu’il a lui-même contribué à mettre en place quand il fut nommé Premier ministre après la révolution de 2011.
Avocat de profession, redoutable diplomate, politique chevronné, il fut ministre sous Bourguiba, président du Parlement sous Ben Ali et symbolise le passage réussi à la démocratie. Mais le président Essebsi est également celui qui n’aura pas réussi à sortir le pays d’un marasme économique problématique. Les inégalités sociales se sont creusées et perdurent. Le chômage des jeunes reste très élevé a très peu évolué.
Une situation économique précaire
En 2016, en pleine vague de contestation sociale, Béji Caïd Essebsi en est réduit à passer sous les fourches caudines du FMI. 2,9 milliards de dollars sur quatre ans, contre la promesse d’assainir les finances publiques. Les attentats de 2015 ont fait fuir les touristes et tari l’une des sources principales de devises. Dans le même temps, l’État tente de limiter la grogne sociale et refuse de couper dans les effectifs de la fonction publique pourtant pléthorique.
Dès lors, la monnaie décroche. Ces quatre dernières années, le dinar aura perdu près de 50% de sa valeur. Et l’inflation a bondi. Mais l’argent du FMI renforce la résilience d’un appareil industriel diversifié et performant, qui en 2007 par exemple était considéré comme le plus compétitif d’Afrique. La baisse de la monnaie finit par relancer les exportations. 2018 est l’année de la convalescence, d’autant que les touristes commencent à revenir sur les plages tunisiennes. Sur le fil du rasoir, l’économie se redresse peu à peu, pourtant le chômage et l’inflation restent à des niveaux trop élevés. Le quotidien des Tunisiens ne s’est guère amélioré sous la présidence Essebsi.
Contraint de diriger le pays avec les islamistes
Sur le plan politique, BCE fit campagne pour la présidence en 2014 sur son opposition à Ennahda. Mais le parti qu’il a fondé, Nidaa Tounes, devenu dans la foulée première force du pays au Parlement, dirigera la Tunisie avec le parti islamiste.
Son dernier grand chantier sociétal fut sa volonté de légiférer pour l’égalité homme-femme dans l’héritage. Annoncée l’été dernier, la proposition est finalement restée lettre morte tant les divisions sur ce sujet l’ont emporté.
La présidentielle avancée
Avec la mort de BCE, le scrutin présidentiel prévu le 17 novembre a été avancé et pour l’heure, la date retenue est le 15 septembre prochain, Un changement de calendrier qui risque d’irriter certains partis politiques. Dans la Tunisie post-révolutionnaire, la présidentielle était fixée après les législatives. Ce qui permettait au peuple d’élire un chef de l’Etat au vu de la composition du Parlement. L’inverse qui devrait se mettre en place suite à la mort de Béji Caïd Essebsi pourrait favoriser les nouveaux venus en politique.
On s’attend donc à une campagne présidentielle aussi rapide qu’intense car désormais ce n’est plus sur le nom d’un parti mais sur la personnalité d’un candidat que la campagne se jouerait. Tout évènement social ou sécuritaire pourrait ainsi fortement influer sur le prochain locataire du palais de Carthage.
D’autant que juste avant de mourir, le président Essebsi avait refusé de promulguer une modification de la loi électorale, pourtant votée par le Parlement. Ce changement visait à exclure les favoris des sondages, un magnat des médias, une mécène investie dans l’associatif et une ancienne cadre du parti de Ben Ali. Les voir potentiellement revenir dans la course suscite déjà l’ire des grands partis traditionnels qui pourraient faire les frais du scrutin anticipé.
- Essebsi face à la menace terroriste
Le Bardot, Sousse, la Medina, tant de noms qui rappellent les attaques terroristes qui ont frappé la Tunisie. Un combat dans lequel le président défunt Béji Caïd Essebsi avait dû s’impliquer dès son arrivée à la présidence, il y a maintenant cinq ans.
Seulement trois mois après son arrivée à la présidence, 24 personnes tombaient sous les balles de l’État islamique au musée du Bardot. Face aux craintes de tournure autoritaire, le président Essebsi avait alors tenu à rassurer. « Nous sommes contre un régime policier, nous sommes pour la liberté. Mais je dis que la liberté cesse lorsque l’abus commence, avait-il déclaré. Nous sommes maintenant victimes d’un abus des fanatiques ».
Des fanatiques qui frapperont à nouveau Sousse en 2015 où il feront 36 morts, trois mois seulement après l’attentat du Bardo. Le président Essebsi n’a alors plus d’autres choix que de déclarer l’état d’urgence dans tout le pays. « Face au danger qu’affronte le pays et avec tout ce que nous voyons dans des pays frères qui connaissent une expansion du terrorisme, si un autre attentat comme celui de Sousse était commis par des terroristes, l’État s’effondrerait ».
Malgré le terrorisme qui frappe alors la Tunisie, Béji Caïd Essebsi s’était alors fait l’apôtre d’un Islam éclairé, non violent. « Très souvent, on confond islamisme et islam. L’islamisme est essentiellement un mouvement politique. Il instrumentalise la religion musulmane pour arriver au pouvoir en utilisant la force » avait-il expliqué.
À la mort du président, la Tunisie n’en a pas fini avec la menace terroriste. Il y a un mois seulement, deux bombes explosaient dans la capitale Tunis.