Ivoiriens et Ghanéens ont réussi à imposer aux industriels de la filière cacao une taxe de 400 dollars la tonne. Elle servira à accroître le revenu des planteurs mais aussi, en cas de hausse, à remplir une caisse de stabilisation. Cette avancée a été rendue possible par la coopération des deux pays qui pèsent plus de 65% de la production mondiale de fèves, et qui ambitionnent de créer une Opep du cacao. François Ruf, économiste au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et spécialiste du cacao, répond aux questions d’Olivier Rogez.
RFI : Est-ce que le fait que le Conseil Café Cacao ivoirien et son homologue ghanéen, le Cocoa Board, travaillent désormais ensemble peut leur permettre de contrôler le marché mondial du cacao, et donc les prix ?
François Ruf: Tout d’abord, le simple fait que ces deux organismes se parlent et travaillent ensemble constitue une rupture historique. Mais quant à savoir s’ils vont contrôler le marché, c’est encore difficile à dire. Cependant, ils ont désormais un poids significatif Si on se réfère à la fin des années 1980 quand le président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, avait lancé un bras de fer avec les multinationales, il avait perdu parce que la Côte d’Ivoire ne représentait que 30% de la production mondiale. C’était énorme mais cela ne suffisait pas à peser significativement sur le marché. Les multinationales ont laissé l’État ivoirien épuiser sa trésorerie et, à bout de souffle, la Côte d’Ivoire a dû plier. Elle n’avait pas le poids suffisant, et il n’y avait pas de capacités de stockages à la hauteur de l’enjeu. Aujourd’hui avec plus de 65% de la production mondiale de cacao pour les deux pays, le rapport de force n’est pas le même.
Les capacités de transformation des fèves se sont accrues. Est-ce un atout supplémentaire ?
Oui, sauf qu’elles sont contrôlées par les multinationales, c’est donc une arme à double tranchant. Mais je pense que les multinationales ont été réellement surprises de voir que les deux pays, et les deux institutions [de régulation de la filière cacao] que sont le Conseil Café Cacao ivoirien et le Cocoa Board ghanéen, sont capables de se parler et de s’entendre. C’est un bon signe pour les deux pays, après il faut voir si cela va durer dans le temps.
Ghana et Côte d’Ivoire collaborent si bien qu’ils harmonisent désormais les dates des débuts des campagnes cacaoyères et qu’ils tentent de faire de même avec les prix d’achat aux producteurs. Jusqu’où devrait aller cette collaboration ?
Vous mettez le doigt sur le point essentiel qui est celui du prix. Il faut que les politiques de prix s’accordent. Car dès qu’il y a ne serait-ce que 50 francs CFA [7 centimes d’euro] de différence entre les deux pays, des réseaux de contrebande se mettent en place le long de la frontière. Avec d’ailleurs, in fine, à peu près les mêmes groupes d’acheteurs dans les deux pays. Rappelons que jusqu’à récemment, les deux politiques cacaoyères, étaient presque en miroir. Quand un pays paraissait sur le chemin d’une politique vertueuse avec un prix au producteur plutôt à la hausse, l’autre faisait le contraire. Et donc les gens qui avaient des réseaux de commercialisation le long de la frontière se régalaient ! Donc la première chose à faire, c’est d’harmoniser les prix. Sachant, cependant, que la monnaie n’est pas la même. Et c’est ce qui pose problème. Souvent par le passé, la monnaie ghanéenne glissait à un moment donné, et un différentiel de prix apparaissait, ce qui faisait fuir le cacao vers la Côte d’Ivoire. A d’autres périodes, c’était l’inverse : le gouvernement ghanéen imposait des prix d’achat aux producteurs très haut, à des niveaux presque insoutenables, en s’appuyant par exemple sur des prêts internationaux. Tout cela n’était pas très cohérent pour l’économie internationale. Donc, sachant qu’ils n’ont pas la même monnaie, la première mesure d’harmonisation, c’est de rapprocher le plus possible les prix d’achat « bord champ ». Mais tant qu’il y a un taux de change entre les deux pays, il y aura une fluctuation, l’important est de la rendre la plus faible possible.
Néanmoins, la coopération a porté ses fruits avec l’instauration d’un « différentiel de revenu décent » de 400 dollars payé par les industriels de la filière. Est-ce que l’on sait quelles répercutions ce différentiel va avoir pour les planteurs ?
C’est encore très flou. Tel que cela a été expliqué, les deux pays ne se sont pas engagés à répercuter l’entièreté de ces 400 dollars de taxe aux producteurs. Jusqu’à 2 600 dollars la tonne de cacao, les deux États s’engagent à répercuter 70% du prix FOB [Free on board] aux producteurs, ce qui permettrait, en Côte d’Ivoire, d’arriver à un prix de 1000 francs CFA le kilogramme aux producteurs, un prix psychologique, surtout en période préélectorale. Et l’État ivoirien accepte de diminuer ses prélèvements. Si on dépasse les 2 600, les 400 dollars vont en partie abonder un fond. C’est une réapparition du principe de la Caistab, la caisse de stabilisation qui existait autrefois en Côte d’Ivoire. Et il y a peu de chance, alors, que la totalité des 400 dollars soit versée aux producteurs. Ils n’en recevraient qu’une partie. De toutes les façons, la taxation sur le cacao reste relativement opaque. Personne ne sait exactement où partent les taxes.
Peut-on arriver à plus de transparence ?
Difficilement, car cela relève des affaires internes des états, et ils n’ont pas forcément envie de révéler au monde l’utilisation qu’ils font de leurs taxes sur le cacao, ni leur stratégie en la matière. Cela peut se comprendre. Ils ne sont pas obligés de rendre complètement transparent le budget de l’État.