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Recensement en RDC: chronique d’un fiasco

Depuis le recensement de 1984, les démographes se perdent en conjectures pour déterminer le nombre exact d’habitants en RDC. Un flou démographique auquel le président Félix Tshisekedi a promis de mettre fin. Dans une étude publiée en mars dernier, deux chercheurs reviennent sur ce serpent de mer qui plane sur la vie politique congolaise depuis plus d’une décennie.

Lors de son discours d’investiture, le 24 janvier, le président Félix Tshisekedi l’a promis urbi et orbi : « Nous comptons engager le gouvernement à réaliser très rapidement un recensement sur tout le territoire ». Avant d’insister sur l’importance de disposer « d’information démographique fiable (…) pour la planification de notre développement dans l’ensemble du pays, province par province ».

Un discours en forme d’antienne en République démocratique du Congo, où la question du recensement de la population fait figure de sujet politique hautement inflammable. Depuis l’élection présidentielle de 2006, tous les Premiers ministres successifs l’ont promis sans en voir le bout. Avec à la clef de lourdes conséquences sur les différentes crises électorales, qui ont émaillé la vie politique congolaise ces dernières années.

Dans une étude très documentée du Secure Livelihoods Research Consortium, deux chercheurs belges ont chroniqué ce fiasco où se mêlent enjeux politiques, affaire de gros sous et rivalités entre institutions internationales et nationales. Cette histoire débute en  2003, avec la signature à Sun City de l’accord final des travaux du dialogue intercongolais. Le texte, qui est censé mettre fin à l’effroyable deuxième guerre du Congo, conditionne déjà la tenue des élections à l’organisation d’un recensement.

Un agenda impossible à tenir

Mais le pays est encore exsangue et les priorités sont ailleurs. Six longues années seront nécessaires avant que ne soit autorisé le recensement par le Premier ministre Adolphe Muzito. Son ministre du Plan, Olivier Kamitatu, en fait alors l’annonce sur les ondes de Radio Okapi. « Nous souhaitons avoir des données fiables pour la reconstruction de notre pays », déclare-t-il, affirmant au passage que le processus s’achèvera en 2011. Coût des opérations : 170 millions de dollars (dont trente financés par le gouvernement congolais).

Mais les donateurs internationaux ne sont pas au rendez-vous et l’agenda se révèle vite impossible à tenir. Au même moment, la Banque mondiale, qui commence à prendre une part active au projet, impose la digitalisation du recensement. Un changement mal vécu côté congolais : « Il fallait secouer les vieux, qui savent à peine se servir d’un ordinateur, affirme ainsi un démographe congolais cité de manière anonyme dans le rapport. Ces hommes, ils ne savent pas comment installer un antivirus. Ils ne savent même pas comment utiliser Word ».

Résultat : le chantier traîne en longueur. Et, à l’instar de celle de 2006, l’élection présidentielle de 2011 se déroule sans recensement au préalable. Arrivé à la Primature, Augustin Matata Ponyo présente un nouveau budget et un nouvel agenda, qui fixe à 2014 l’année du recensement. L’échéance sera vite illusoire. Pourtant, le gouvernement de l’homme à la cravate rouge met les moyens : achat d’une centaine de véhicules et signature d’un contrat de 11 millions de dollars avec le consortium Sinfic / Quatenus Congo / Novageo. On prévoit aussi un équipement technologique colossale, avec l’achat de tablettes, de GPS, d’ordinateurs et de serveurs. Las, malgré les millions injectés, le recensement s’embourbe une nouvelle fois.

« Un délai amplement réaliste »

Janvier 2015. Le président Joseph Kabila, dont la fin théorique du second mandat approche, s’adresse à ses compatriotes lors de son discours de Nouvel An : « L’année qui s’annonce sera marquée par l’organisation des élections locales, municipales et provinciales ainsi que le démarrage des opérations du recensement de la population ». Dans la droite ligne de l’esprit de l’accord de Sun City, le gouvernement présente une loi, qui conditionne la tenue des élections à un recensement de la population. Pour ce faire, l’exécutif compte sur une institution, l’Office national d’identification, restée en sommeil pendant trois ans. Son patron, l’universitaire Adolphe Lumanu, propose de réaliser un recensement administratif en moins d’un an pour quelque 500 millions de dollars. « Un délai amplement réaliste », affirme-t-il.

Résumons : deux institutions sont désormais concurrentes pour l’organisation du recensement. L’une existe depuis une dizaine d’années, la deuxième vient tout juste d’être réactivée en vue de 2016. Il n’en faut pas plus pour attiser la suspicion de l’opposition, qui crie à une manoeuvre dilatoire pour reporter aux calendes grecques la tenue du scrutin présidentiel – le pouvoir retirera finalement le projet de loi sous la pression. Des critiques partagées par le rapport des deux chercheurs : « L’Onip et la loi électorale doivent être comprises dans le cadre d’un ensemble d’actions pour retarder les élections ou rallonger le mandat de Kabila ». « Entre 2014 et 2015, plusieurs mois ont été perdus en raison de la politisation du recensement », déplorent-ils.

Querelles politiques, sous-financement chronique, pagaille des projets des partenaires internationaux… Dans l’attente des élections, qui seront reportées à deux reprises, le recensement congolais prend de plus en plus des airs de quadrature du cercle. Même la signature d’un nouveau contrat en 2018 avec le groupement Sinfic / Quatenus Congo / Novageo ne change pas la donne. « Sinfic a été incapable d’entreprendre de nouvelles activités », notent ainsi les deux chercheurs. Lesquels pointent l’inflation budgétaire du projet : il est désormais estimé à 194 millions de dollars.

Les conclusions de Nangaa

Décembre 2018, le scrutin tant attendu a enfin lieu. Mais son organisation aura été émaillée d’une série de polémiques. A l’image de celle sur le nombre d’inscrits sur les listes électorales dans certaines provinces. Deux millions de personnes s’étaient ainsi enrôlés au Sankuru – soit l’équivalent de 94 % de sa population estimée – avant que la Céni ne rectifie le tir et annonce un toilettage massif du fichier électoral.

A partir de ce fichier électoral controversé, les autorités ont dessiné la carte de la répartition des 500 sièges à l’Assemblée nationale. Laquelle fait apparaître quelques incongruités : des provinces réputées hostiles à Joseph Kabila perdent des sièges, d’autres en gagnent grâce à l’augmentation exponentielle de leur population électorale. Malgré les critiques de l’opposition – « une fraude » du pouvoir selon Martin Fayulu – le projet de loi est adopté par le Parlement, puis promulgué par Joseph Kabila.

Cible de toutes les critiques, le patron de la Céni, Corneille Nangaa, a fait part de ses recommandations quelques mois après l’élection. « Il est important de lancer le recensement de la population de façon à constituer un fichier d’état civil permanent », a-t-il noté. En attendant son organisation effective, le gouvernement a annoncé en février dernier le lancement du recensement des entreprises. Là aussi, il y a urgence : le dernier remonte à 1982.

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