Site icon LE JOURNAL.AFRICA

En Mauritanie, la présidentielle stimule les blogueurs malgré les risques

La Mauritanie n’a pas échappé à l’émergence des réseaux sociaux. Les jeunes y sont, comme dans le monde entier, très représentés et c’est même devenu une façon courante de s’informer. Dans le pays, les « médias » les plus suivis sont désormais ceux présents sur ces plateformes de partage, ceux que l’on appelle parfois les médias « social-only ». Cohabitent alors des pages d’actualité et des blogueurs engagés.

Avec notre envoyée spéciale à Nouakchott,

A quelques heures du premier tour de la présidentielle, les locaux de la page Facebook La Vision ressemblent à une ruche. « Regardez notre studio télé, il vient tout juste d’être terminé », se réjouit Aïcha, l’une des productrices. Les derniers préparatifs sont en cours pour la couverture de la journée, mais aussi pour la soirée électorale qui sera diffusée en live sur les réseaux sociaux. Avec près de 180 000 abonnés, c’est une des pages Facebook les plus suivies du pays et la rédaction a mis les moyens pour être à la hauteur de cet évènement.

« Vous savez les gens en Mauritanie regardent peu la télévision, surtout les jeunes. Donc nous, on est devenu une véritable alternative », ajoute Aïcha. Le crédo de La Vision : la Mauritanie avec un regard positif. Pas question de créer des polémiques. « On veut que les gens soient bien informés avant d’aller voter par exemple. On se concentre sur des formats très réseaux sociaux : des infographies, des vidéos, des photos. On veut avant tout du factuel », explique le directeur de la rédaction.

La Vision est l’une des pages Facebook d’actualité les plus suivies de Mauritanie. © RFI/Paulina Zidi

« Mon arme, c’est l’écriture »

Les polémiques, la Vision les laisse aux blogueurs. Parmi eux, Cheikh Ould Jiddou et Abderrahmane Weddady. Ils font partie des plumes les plus lues du pays. « Vous vous rendez compte, en Mauritanie, un journal va tirer à 500 exemplaires maximum et peut-être en vendre 300 alors que moi, il y a plus de 25 000 personnes qui lisent chacune de mes publications », détaille Abderrahmane Weddady.

Et sur la Toile, les deux blogueurs sont engagés. Leurs posts évoquent des scandales, dénoncent les privations de liberté, le non-respect des droits de l’homme. « Mon arme, c’est l’écriture », déclare sans détour Abderrahmane Weddady : « Je fais de la politique depuis longtemps. J’ai même participé en tant que civil à la préparation d’un coup d’Etat. Mais finalement, j’ai constaté que faire des coups d’Etat ça ne changeait pas grand-chose, il fallait plutôt écrire pour faire changer les mentalités. J’ai d’abord écrit sur un site et désormais j’écris sur ma page. »

Le blogueur mauritanien Abderrahmane Weddady. © RFI/Paulina Zidi

Des prises de position et surtout une popularité sur les réseaux sociaux qui ont conduit les deux hommes en prison ces derniers mois. Ils ont été arrêtés après avoir dénoncé une arnaque financière et évoqué une possible implication des autorités. Mais pour Cheikh Ould Jiddou, le motif de son arrestation n’était qu’un prétexte : « Ils ont profité de cette publication, car on dérangeait sur les dysfonctionnements de l’État de droit, de la liberté ou encore de la lutte contre la corruption. »

Ils sont restés plusieurs semaines en détention avant d’être finalement remis en liberté provisoire un peu avant le premier tour de la présidentielle. « Ils nous ont pris nos papiers d’identité. On essaye de les récupérer. Mais pour l’instant, on ne va pas pouvoir aller voter pour ce premier tour de la présidentielle, ils ont pris notre voix », estime Cheikh Ould Jiddou.

Le blogueur mauritanien Cheikh Ould Jiddou. © RFI/Paulina Zidi

La liberté d’expression « prise en otage »

Une situation répressive vis-à-vis des blogueurs qui inquiète profondément Maître Fatimata M’Baye : « Cette dernière arrestation ne fait que confirmer la prise en otage de la liberté d’expression en Mauritanie. Il y a des pics. Parfois les autorités ferment les yeux, puis elles emprisonnent et enfin elles libèrent. C’est comme si on était dans une chambre où la lumière s’allume et s’éteint. »

Maître M’Baye est l’avocate de Mohamed Mkhaitir. Un blogueur qui a été condamné lui aussi pour « apostasie » à la peine de mort en 2014. Suite à plusieurs procédures judiciaires, la cour d’appel a finalement commué en 2017 sa condamnation à mort en une peine de prison de deux ans et une amende. Libérable depuis, le jeune homme est toujours en détention. « Depuis ce jour notre client n’a pas été libéré. Il est en détention irrégulière. Il est quelque part. Certains ont pu le visiter, mais pas nous les avocats. Il a vu le représentant des Nations unies pour les droits de l’homme il y a un mois. Mais il est dans une zone de non-droit. Les autorités se cachent derrière sa sécurité pour le garder. Je pense qu’il faut qu’il soit libéré avant le départ du président Abdel Aziz. Sinon ce sera vraiment inquiétant. »

L’avocate et défenseur des droits de l’homme mauritanienne Fatimata M’Baye. © RFI/Paulina Zidi

Une libération que le chef de l’Etat ne semble pas pour l’instant envisager, comme il l’a confié récemment à des journalistes : « Il est en prison illégalement. Mais il est détenu par une procédure administrative qui vise à le protéger. A l’époque, si on l’avait libéré, ça aurait peut-être provoqué une instabilité totale du pays. Est-ce que c’est plus important de considérer le droit de quatre millions de personnes contre ceux d’une personne ? Lui, il est libre, mais moi en tant que président, j’ai le devoir d’assurer la stabilité, la sécurité de mes concitoyens. Si on l’avait libéré, la population demanderait son exécution. Il y aurait eu le chaos. »

S’ils sont libres, Cheikh Ould Jiddou et Abderrahmane Weddady expliquent tout de même que leurs conditions de vie sont difficiles. Ils ont du mal à trouver du travail, la pression sur leur famille est importante. Les deux hommes assurent pourtant ne pas avoir peur et ils sont prêts, comme le confie Abderrahmane Weddady, à continuer leur engagement : « Moi je n’ai pas peur de mourir, on peut mourir bêtement d’un accident. On peut mettre une balle dans la tête, ce n’est pas cette menace qui est grave. C’est qui est grave, c’est de voir ce que l’on fait à notre pays. »

Quitter la version mobile