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Retour du corps d’Étienne Tshisekedi, réactions des Congolais de Bruxelles

Le corps de l’opposant historique aux régimes successifs de Mobutu et de Kabila, père et fils, repose depuis deux ans et quatre mois dans une chambre froide à Bruxelles. Ce monument de la vie politique congolaise va être enfin enterré chez lui le 1er juin. Son corps quitte la Belgique ce 29 mai, dans la soirée. Réactions à Matonge, le quartier africain de Bruxelles.

De notre correspondante en Belgique,

Le dernier voyage du chef historique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), principal parti d’opposition aujourd’hui au pouvoir, est prévu dans la soirée, ce 29 mai,  à bord d’un vol spécial, qui décollera de Bruxelles, après un hommage militaire. À Matonge, le quartier « afro » de Bruxelles, certains pensent déjà à l’accueil spectaculaire qui sera fait à sa dépouille, deux ans et quatre mois après sa mort à Bruxelles.

« J’aurais aimé y être, note Claudine, 54 ans, une mère de famille installée depuis 18 ans à Bruxelles. Déjà, de son vivant, il rassemblait des foules énormes sur tout le trajet entre l’aéroport de Kinshasa et sa maison à Limete. Si j’avais eu les moyens, j’aurais pris l’avion juste pour voir ça. » Sur des kilomètres, en effet, des milliers de Kinois l’avaient acclamé lorsqu’il était rentré en juillet 2016, pour exiger le départ du président sortant Joseph Kabila et l’organisation à la date prévue de la présidentielle. Le retour de sa dépouille, le 30 mai, ne devrait pas déroger à la règle, avant le recueillement populaire que lui prépare la République démocratique du Congo (RDC) le 31 mai, puis ses obsèques nationales le 1er juin.

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Un rapatriement marqué par les querelles politiciennes

Dans le quartier vibrant de Matonge, à Bruxelles, on parle surtout du meurtre dimanche d’un métis de 32 ans, tué à coups de couteau dans le ventre. Le dénouement de l’affaire Tshisekedi passe au second plan, même s’il est volontiers commenté avec soulagement. Pendant plus de deux ans, le désaccord entre la famille Tshisekedi, son parti l’UDPS d’un côté, et le camp de Joseph Kabila de l’autre, ont empêché d’organiser des funérailles de manière apaisée et consensuelle. Il aura encore fallu cinq mois, après la présidentielle de décembre 2018, remportée officiellement  par son fils Félix Tshisekedi, mais vivement contestée par le candidat Martin Fayulu et par les observateurs de la Cenco (Conférence Episcopale Nationale du Congo), pour organiser ce retour. « En soi, cet enterrement est un évènement politique de premier plan pour la nation congolaise », commente Innocent, jeune infirmier d’origine congolaise. Il va pouvoir avoir lieu sans que les reports successifs des élections, ces deux dernières années, ne viennent s’en mêler. « C’est très important pour nous que ce patriarche, qui a tant fait pour la démocratie, soit inhumé dans la dignité. Les querelles politiciennes doivent cesser. En fait, c’est tout le pays qui va devoir tourner une page de son histoire. »

Ce à quoi Jean-Pierre Lezi, 40 ans, ancien producteur et présentateur de télévision en RDC, à Bruxelles pour étudier l’information et la communication, ne croit pas trop. « Tshisekedi représente une figure majeure, ayant réellement participé à l’émergence d’une forme de démocratie. Ce rapatriement devrait être un évènement national, mais il est largement phagocyté, pollué par les jeux politiques. Il ne se fait que maintenant à cause de ces jeux, qui vont continuer, avec entre autres la crise de leadership à la tête de l’UDPS. »

Certains, cependant, trouvent ironique que ce retour de l’opposant se fasse dans un contexte où les rivalités ont cédé la place à une bonne entente entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. « Il faut bien remarquer que le retour d’Etienne Tshisekedi se passe après celui d’un autre opposant, qui est bien vivant celui-là, relève Michèle, une employée municipale née à Lubumbashi. Moïse Katumbi a lui aussi été empêché de mettre le pied sur le sol congolais depuis trois ans. Est-ce vraiment un hasard ? Fallait-il que Katumbi soit rentré pour enterrer Tshisekedi ? ».

Le coût du mausolée remis en question

Les opinions politiques des uns et des autres jouent, bien sûr, dans la façon de voir l’évènement. « La personne d’Etienne Tshisekedi mérite le respect, mais tout le reste, c’est de la voyoucratie, estime Denis, musicien. Nous avons perdu un Papa, certes, mais sur le plan politique, Tshisekedi n’a jamais été ma tasse de thé, avec ses discours incendiaires et tribalistes, en plus du fait qu’il mangeait à tous les râteliers. Il nous a libéré de quoi ? De qui ? La décision du pouvoir de dépenser 2,5 millions de dollars pour ériger un mausolée en sa mémoire n’a pas de sens. C’est même un délire, dans un pays où un professeur d’université touche 100 dollars et où les gens ont faim. »

Un autre artiste, l’écrivain Sinzo Aanza, qui a présenté le 25 mai une installation d’art plastique dans une exposition collective au centre d’art Wiels, à Bruxelles, partage cet avis. « En dehors de sa longue opposition à Mobutu et tous ses successeurs, on ne nous dit pas en quoi il est héroïque pour l’État, qui débourse de l’argent pour son scandaleux mausolée. Pour les jeunes fauchés de ce pays dont les envies, les désirs, les idées et les projections devraient passer avant cet évènement si pauvre de sens, c’est le désespoir. Tout cela ne se justifie que par le fait que le fils soit devenu président. Il enterre son père avec faste, ce qui est de son devoir, mais l’argent ne lui appartient pas. Il continue la tradition mobutiste de privatisation de l’espace et des ressources publics. »

Une frange de l’opinion diasporique à Bruxelles, quant à elle, reste relativement indifférente. « Je suis de la même ethnie que lui et ma mère habite dans la même rue à Limete, affirme ainsi une jeune entrepreneuse. Pour ces simples raisons, je devrais être heureuse de ce rapatriement, mais compte tenu de tout ce que j’ai vu et entendu, je ne trouve pas que ce soit une priorité. C’est bien qu’il y ait une stèle qui mentionne qu’il a été un grand leader, contrairement à d’autres… Mais sans plus. »

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