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Amnesty International: le suicide de Gaëtan Mootoo, un acte politique?

Il y a un an, le 25 mai 2018, le brillant enquêteur Gaëtan Mootoo s’est donné la mort dans son bureau d’Amnesty France à Paris. Pourquoi ce geste ? Comment Amnesty surmonte ce drame ? Hommage et enquête.

Un an après, Amnesty International reste sous le choc. Au soir du 25 mai 2018 – un soir d’orage –, le chercheur Gaëtan Mootoo, 65 ans, seul dans son bureau au deuxième étage d’Amnesty France, à Paris, adresse une lettre mi-manuscrite, mi-dactylographiée à son épouse, Martyne, et à leur fils, Robin. En préambule, il écrit : « J’ai fait une demande d’aide, cela n’a pas été possible. Je pense que je ne pourrais plus continuer de cette façon, d’où cette décision. » Puis il se donne la mort. Un an plus tard, dans une lettre à tous ses collègues, Kumi Naidoo, le nouveau secrétaire général d’Amnesty, avoue : « Les [deux] enquêtes [commandées par Amnesty après ce drame] conduisent à des résultats troublants, des conclusions rudes et des messages difficiles concernant des échecs et des défaillances inacceptables. » Amnesty n’en a pas fini avec la mort de son chercheur le plus emblématique du continent africain.

La vie de Gaëtan Mootoo, c’est d’abord l’histoire d’un combattant de la liberté dans une Françafrique qui est encore sous le joug d’un Jacques Chirac très inspiré par le néo-colonialiste Jacques Foccart. Ses compagnons ? Les suppliciés et les prisonniers d’opinion. Ses partenaires-adversaires ? Les chefs d’État. En février 1998, Amnesty rend publique l’une des premières enquêtes exclusives du chercheur mauricien, « La Terreur en Casamance », un rapport au vitriol sur les exactions commises aussi bien par l’armée sénégalaise que par les indépendantistes de cette province du sud du Sénégal. « C’est un tissu de mensonges et de contre-vérités. Je trouve qu’Amnesty International est une bande d’irresponsables », rugit le président Abdou Diouf.

Sentinelle de la liberté en Françafrique

En mai 1999, avec deux autres chercheurs, Gaëtan Mootoo est à l’origine d’un brûlot sur le régime togolais de Gnassingbé Eyadema. Il révèle qu’un an plus tôt, lors de la présidentielle de juin 1998, des centaines d’opposants menottés ont été largués en haute mer par avion. Jacques Chirac, le protecteur de l’autocrate togolais, dénonce « une opération de manipulation », tandis que le régime de Lomé menace de porter plainte contre Amnesty. Pierre Sané, le secrétaire général de l’ONG, tient bon. « J’ai appuyé Gaëtan, confie-t-il aujourd’hui, car je savais qu’il était capable d’obtenir des informations que personne d’autre n’avait. Et je ne pouvais pas laisser passer ça. Sinon, dans les autres pays côtiers, beaucoup de régimes auraient adopté la même méthode pour exécuter leurs opposants. » En février 2001, une commission d’enquête conjointe de l’ONU et de l’OUA confirme les accusations d’Amnesty – sauf le chiffre de « plusieurs centaines » de victimes. Grâce à Gaëtan Mootoo et quelques autres chercheurs, l’ONG devient une sentinelle de la liberté en Françafrique.

Avec Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, les deux frères ennemis de Côte d’Ivoire, Gaëtan Mootoo a une relation exigeante. C’est grâce à lui et à Salvatore Saguès, son fidèle compagnon durant vingt années d’enquête, qu’est révélé le massacre, à Bouaké en octobre 2002, de plusieurs dizaines de gendarmes pro-Gbagbo. En février 2013, deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, Amnesty, dans son rapport sur la « loi des vainqueurs », déplore une « justice à deux vitesses » au détriment du camp Gbagbo. Le président Ouattara dénonce alors une « ONG partisane ». « En Côte d’Ivoire, raconte Pierre Sané, Gaëtan était l’un des rares défenseurs des droits de l’homme qui pouvait être reçu par les deux camps, car tout le monde avait confiance dans son intégrité. » Alioune Tine, le célèbre défenseur sénégalais des droits de l’homme, ajoute : « Gaëtan avait une dimension politique, car son action a beaucoup contribué au changement démocratique en Afrique. »

Humilité, patience et ténacité

La méthode Gaëtan Mootoo pour arracher des témoignages difficiles ? Humilité, patience et ténacité. « Les droits de l’homme étaient dans son ADN, dit Pierre Sané. Il avait pour les victimes une véritable compassion. » « En Mauritanie, se souvient Alioune Tine, je l’ai vu harceler un ministre de la Justice jusqu’à ce que celui-ci avoue que tel opposant, qui avait disparu depuis de longs mois, n’était pas mort. Quelle joie quand Gaëtan a annoncé la nouvelle à la famille du prisonnier ! » Salvatore Saguès raconte amusé : « Il avait une gestion étonnante du temps. Sous l’arbre, avec un chef de village, même quand nous avions d’autres témoins à voir une heure plus tard, il donnait l’impression qu’il avait du temps. Et quand je lui rappelais l’heure, il me faisait passer pour le Blanc pressé. Ça marchait à tous les coups ! » La marque Gaëtan ...   

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