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Être un mineur isolé étranger en France

De plus en plus de mineurs isolés ou non accompagnés viennent chercher refuge en France. Leur nombre varie suivant les critères utilisés parmi ceux qui sont visibles, mais beaucoup ne le sont pas. Ceux qui sont pris en charge bénéficient de la protection de l’Etat jusqu'à leur majorité, souvent difficile à établir. Mais le système peine à prendre en compte leurs traumatismes et leurs histoires et ces enfants qui arrivent en piteux état en France ne sont pas au bout de leurs souffrances. Entretien avec Eric Sandlarz, psychanalyste, psychologue clinicien au Centre Primo Levi, un organisme en pointe pour les réfugiés victimes de torture et de violences politique dans leur pays d'origine.

Le centre Primo Levi est un centre de soins à Paris destiné aux personnes victimes de la torture et de la violence politique dans leur pays d’origine et aujourd’hui réfugiées en France. Ces personnes sont reçues par une vingtaine d’intervenants (médecins, psychologues, kinésithérapeutes). L’organisme très réputé a une liste d’attente de six mois minimum.

En 2018, plus de 46 700 personnes (mineurs inclus) ont été placées sous la protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) au titre du statut de réfugié et de la protection subsidiaire, un chiffre en hausse de 9% par rapport à 2017.

RFI : Eric Sandlarz, qui sont ces mineurs isolés étrangers en France ?

Eric Sandlarz : C’est extrêmement vaste, divers,complexe et variable selon les périodes, les situations dans les pays d’origine et les moments de crue migratoire. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y en a beaucoup plus qu’avant, avec un vrai problème de respect de l’adolescence.

On ne parle plus aujourd’hui de mineur isolé, mais de mineur non accompagné, on ne cesse de faire se succéder des sigles, des acronymes pour désigner ces jeunes et au fur et à mesure des désignations, on perd de plus en plus les enjeux. Quand on passe d’isolé étranger à non accompagné, on ne parle plus du tout des mêmes choses. Que « l’étranger » saute et que « l’isolé » saute, ce qui saute c’est ce qu’ils éprouvent eux, d’être des étrangers pour les autres et d’être étranger à eux même, précisément parce qu’ils sont isolés. Donc de passer d’un acronyme à l’autre, on peut déjà s’arrêter et se focaliser là-dessus et se rendre compte que cette évolution linguistique acronymique banalise des enjeux cruciaux.

Frontière de l'Europe entre la Bulgarie et la Turquie. © NIKOLAY DOYCHINOV / AFP

Pourquoi partent-ils ?

Ils partent pour mille et une raisons. Il y a toujours une situation politique d’origine. Faire une différence entre migration économique et migration politique est une ânerie. Je ne sais pas comment on peut dissocier l’économique du politique. Il n'y a qu’en Occident, pour des raisons de préciosité linguistique et des enjeux électoralistes, que l’on fait ces différences. Mais s’il y a une situation économique qui pousse un jeune à s’en aller, il est évident qu’à l’origine de cette situation, il y a un enjeu politique. Donc, il y a toujours une question politique qui pousse ces jeunes à partir, car il n’y a pas d’avenir. C’est « no future ».

Quand on parle de ces jeunes, on parle de quelle tranche d’âge ?

Ça va de 10 ans à 22 ans. Massivement, cela touche une population qui a entre 12, 13 ans jusqu’à 20, 22 ans. Sachant que s'ils sont reconnus majeurs, c'est-à-dire au-delà de 18 ans, ils sont censés ne pas être pris en charge. Donc, quand je dis « une population qui va de 12 à 22 ans » c’est parce que je prends en compte tous ces jeunes errants qui ne sont pas nécessairement reconnus comme mineurs isolés ou mineurs non accompagnés parce qu’ils ont 19 ou 20 ans, suivant un âge osseux qui est mesuré, comme le Conseil d’État vient de le dire, avec une marge d’erreur de trois à 18 mois.

On voit bien que pour un adulte, le voyage est difficile et coûte cher. Mais comment un mineur peut-il le faire ?

Il a toujours son corps à négocier, pour dire les choses crûment. Comment un jeune peut-il partir de Syrie et arriver jusqu’en France, traverser tout ce qu’il traverse et rester à peu près debout ?... Il y a une chose essentielle qui s’est modifiée depuis deux ans, qui concerne les Subsahariens, voire un certain nombre de jeunes du Moyen-Orient, c’est le passage par la Libye, par la torture, par les viols… On se retrouve aujourd’hui avec en face de nous, des jeunes qui ont eu des problématiques dans leur pays, fort différentes des uns aux autres selon les pays d’origine, qui ont été, pour une bonne partie d’entre eux, obligé de passer par la Libye et là c’est l’horreur. Ces jeunes ont alors quelque chose d’enkysté, et cela va être extrêmement compliqué d’en parler, d’arriver à transformer les échecs qu’ils ont vécus en Libye, et cette douleur n’est quasiment pas prise en compte. Le soin psychique des réfugiés, et a fortiori de ses adolescents, est réduit à une peau de chagrin.

L’état de la psychiatrie et de l’offre psy privée en France aujourd'hui ne permet pas d'orienter ces jeunes. Donc, on leur propose, de manière accélérée, des « prêt-à-porter » sociaux, d’apprentissage, d’accès à l’autonomie et il faut que ça aille très vite, car ça coûte cher à l’État français. Donc à peine arrivés, ils doivent apprendre le français, avoir une formation. Comme en plus on supprime les contrats jeunes majeurs pour les 18-21 ans, à 18 ans, ils doivent être des ouvriers autonomes sur le territoire français, sans que l'on prenne en compte tout ce qu’ils ont vécu, et ça, c’est un vrai scandale. C’est une maltraitance monumentale.

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