Commissaire chargée des droits de l’homme et des réfugiés au sein du Cnared, la plateforme de l’opposition burundaise en exil, Aline Ndenzako lance avec Beate Klarsfeld l’association Mémoires communes, avenir commun. Une initiative pour sortir des conflits interethniques au Burundi. Africaine engagée et petite-fille du dernier roi du Burundi, elle porte tout un pan de l’histoire de son pays.
Voilà bientôt quatre ans qu’Aline Ndenzako ne dort pas ou très mal, comme beaucoup de Burundais qui pleurent 3 000 morts, un millier de disparus et se préoccupent de 450 000 réfugiés répartis entre la Tanzanie, le Rwanda, l’Ouganda et la République démocratique du Congo (RDC). Quatre ans qu’elle est de toutes les réunions de la plateforme de l’opposition en exil, le Comité national pour la défense de l’Accord d’Arusha (Cnared), alors qu’elle n’appartient à aucun parti.
Quatre ans que sur ses propres fonds, elle va et vient entre Kigali, Bruxelles, Arusha et Tel-Aviv. Elle a sollicité en Israël les conseils d’une association des victimes de la Shoah pour dresser une liste des morts et des disparus depuis le début de la crise en 2015. Son objectif : « Que leurs noms ne tombent pas dans l’oubli et qu’un jour, justice puisse être faite. » A Paris, elle a monté en 2017 une association dénommée « Burundi : Mémoires communes, avenir commun », à laquelle participe l'Allemande Beate Klarsfled, connue pour la poursuite judiciaire des responsables de la Shoah. L’objectif : mettre fin à la haine identitaire au Burundi, dont ont été victimes les Hutus comme les Tutsis.
Petite-fille du roi Mwambutsa IV
D’abord active dans la société civile, cette entrepreneuse diplômée en communication a aidé depuis Bruxelles, pendant la guerre civile (1993-2002), des associations agricoles et de malades du sida. Durant l’intervalle de paix qui a suivi, de 2006 à 2015, elle a été la vice-présidente de l’une des plus grandes ONG burundaises, la Maison Shalom, fondée en 1994 pour venir en aide aux orphelins de la guerre, Hutus comme Tutsis.
Aujourd’hui basée à Dakar, elle est sur le pont à la fois par choix et par « absence de choix », explique-t-elle, sans vouloir insister sur son histoire : « A chaque fois qu’un ami se montre impressionné par mon statut de membre de la famille royale, je suis déçue. ». Il n’empêche : le fait qu’elle soit l’une des petites-filles de Mwambutsa IV, ancien roi du Burundi de 1915 à 1966, n’a rien d’anodin. Elle appartient à une aristocratie, les Ganwas, une classe sociale qui relève d’une quatrième « ethnie » à côté des Twas, Hutus et Tutsis. Ce qui l’empêche de penser le long du clivage ethnique. « Son statut lui confère une neutralité qui l’autorise à critiquer les travers des deux groupes, Hutus et Tutsis, tout en lui permettant de fédérer », note un proche. Elle le reconnaît : « Cela motive tout mon engagement. L’injustice subie par ma famille m’a fait prendre conscience très tôt des enjeux. »
Le héros de l’indépendance, son oncle, assassiné
C’est que l’indépendance du Burundi, en 1962, s’est faite dans la douleur. Mwambutsa IV, son grand-père maternel, est mort en 1977 en exil en Suisse, et ses deux oncles assassinés. Le premier, Louis Rwagasore, n’est autre que le héros de l’indépendance. Fervent nationaliste et fondateur de l’Union pour le progrès national (Uprona), il menait des campagnes de boycott des commerces belges et du versement des taxes au pouvoir colonial. Il a été abattu le 13 octobre 1961, un mois après la victoire à 80 % de son parti à des législatives. Le scrutin avait fait de lui un Premier ministre prêt à préparer la sortie du joug colonial.
En juillet 1966, le roi est déposé par un second coup d’Etat, mais nomme aussitôt depuis l’exil son second fils, Ntare V. La monarchie est abolie quatre mois plus tard par un militaire tutsi qui s’impose comme président, puis dictateur sanguinaire.
Cavale en pirogue sur le lac Tanganyika
Aline Ndenzako, n’a que des souvenirs très flous de cette époque. Son souvenir le plus lointain remonte au coup d’Etat de 1966, alors qu’elle allait et venait dans les jardins du palais royal à Bujumbura, où gambadaient des antilopes. « Un jour, il y a eu des tirs au moment où je passais avec ma soeur du pavillon où ma famille habitait au salon de mon grand-père dans la résidence principale. Ensuite, je me souviens de quelques valises, des militaires partout, et la vie a changé. » Inscrite au couvent des sœurs de Marie, elle n’a rien su des difficultés matérielles de sa mère, divorcée, et de sa grand-mère « Mwamikasi », la reine restée au pays.
En 1971, l’histoire s’emballe à nouveau. Un cousin vient les alerter : il faut partir. « Un taxi est venu nous chercher et à minuit, nous avons traversé le lac Tanganyika en pirogue jusqu’à Uvira, au Zaïre, puis nous sommes arrivés au Kenya en passant par l’Ouganda à bord de camions et d’une vieille Volvo. » Ce n’est que bien plus tard qu’elle a compris que le périple visait à échapper aux « évènements » de 1972, comme on appelle avec pudeur au Burundi les premiers massacres interethniques post-indépendance. Ils ont été perpétrés par la dictature militaire tutsie de Micombero, prêt à éliminer l’élite hutue du pays.
Mettre fin à la spirale de la violence
Son oncle Ntare V n’y a pas échappé, tué à 24 ans en 1972. Deux décennies plus tard, la démocratisation se passe tout aussi mal au Burundi : Melchior Ndadaye, un Hutu, premier président élu en 1993, est aussitôt assassiné par des militaires tutsis. La réaction est immédiate : les Tutsis du Burundi sont traqués et massacrés par la majorité hutue. Le pays ne sortira de la guerre qu’en 2002, après 200 000 morts.
Un gouvernement est formé en 2005 et une nouvelle Constitution adoptée. Dix ans de paix s’ensuivent, auxquels le président Pierre Nkurunziza met fin en 2015, en briguant un troisième mandat non constitutionnel. « Par manipulation politique, il réanime le désir de revanche des orphelins des massacres de Hutus en 1972, dont il fait partie », analyse Aline Ndenzako.
Depuis quatre ans, la répression violente de l’opposition provoque une nouvelle vague d’orphelins et de réfugiés. Les cauchemars des années 1990 hantent de nouveau les nuits d’Aline Ndenzako, sans qu’elle renonce à son rêve pour autant : « Que les traumatismes s’arrêtent et que la jeunesse du Burundi ait enfin droit à son avenir… »