Au Nigeria, Muhammadu Buhari, 76 ans, rempile pour un second mandat. En 2015, son élection avait suscité beaucoup d'espoirs, il incarnait alors le symbole de l'alternance démocratique. Aujourd'hui sa réélection est perçue comme une source de stabilité, même si les résultats de sa politique suscitent quelques critiques. Quant aux résultats, ils révèlent un Nigeria coupé en deux.
Atiku Abubakar, arrivé deuxième de la présidentielle avec 41% des suffrages, rejette les résultats annoncés par la Commission électorale. Le leader du PDP accuse l'INEC d'avoir manipulé les résultats en faveur de Muhammadu Buhari.
« Le jour de l’élection, dit-il, nous avons constaté la mise en place d’un plan pour voler le droit d’expression du peuple. Nous avons constaté des faits statistiquement impossibles. Par exemple, dans le Borno, le taux de participation est extrêmement important : il atteint miraculeusement les 82 % et ce, en pleine insécurité. On constate ce phénomène dans plusieurs autres Etats remportés par le Parti des Congressistes. Mes chers concitoyens, c’est la raison pour laquelle, moi, Atiku Abubakar, je rejette les résultats annoncés par la Commission électorale… Et je déclare Muhammadu Buhari, élu par une majorité de voix illégales. A mes chers concitoyens nigérians qui sont en colère et sont déçus, je leur demande de garder le calme. »
Parlant de la « parodie d'élection du 23 février 2019 », l'opposant a déclaré qu'il contestera ces résultats en justice. Le chef de l'Etat n'a pas tardé à riposter. Quelques heures après l'annonce de sa victoire à la présidentielle au Nigeria, Muhammadu Buhari s'est adressé à ses partisans, au quartier général de l'APC à Abuja. Le président réélu a remercié tous ceux qui avaient voté pour lui, mais également tous ceux qui avaient permis la tenue du scrutin samedi dernier. Muhammadu Buhari a également évoqué les grands chantiers de son second mandat, les mêmes que lors du mandat précédent.
« La nouvelle administration va intensifier ses efforts dans le domaine de la sécurité, restructurer l'économie et combattre la corruption. Nous avons déjà jeté les bases et nous allons tout faire pour mener à bien les changements nécessaires. Nous allons également nous battre pour renforcer l'unité de notre pays et l'inclusion, pour qu'aucune partie, aucun groupe ne se sente délaissé ni exclu. Je vous remercie pour votre soutien. Que Dieu bénisse la République fédérale du Nigeria. »
Qu'en pensent les électeurs des deux camps ?
Les Nigérians attendent surtout l'avancée des projets
Zone 5. Devant un kiosque à journaux, plusieurs personnes sont plongées dans un débat houleux. Il y a là des cadres, mais aussi des entrepreneurs du secteur informel. Tous reprennent enfin le travail, après plusieurs journées suspendues aux élections.
Pour Abdallah, la trentaine, voter pour Muhammadu Buhari était un gage de stabilité. « Je suis très content, dit-il, les Nigérians veulent que le président poursuive ses chantiers. En votant pour lui déjà en 2015, je faisais partie des gens qui voulaient chasser le PDP car ce parti a mal géré les problèmes d’insécurité, et l’économie était à plat… Aujourd’hui, plusieurs réformes sont en cours. Les gens pensent que l’argent de circule pas, que les populations souffrent, je l’admets, c’est vrai. Mais l’essentiel, c’est que des projets sur le long terme puissent enfin être appliqués. »
Malgré un bilan mitigé, le chef d'Etat nigérian a su s'appuyer sur la ferveur qu'il génère auprès de partisans, comme Hassan, croisé en marge de célébrations de la victoire de Buhari dans les rues d'Abuja. « Moi je viens de l'Etat d'Adamawa. Mais nous n'avons pas bougé pour Atiku. Nous votons Baba, Muhammadu Buhari. J'appartiens à l'APC et nous remportons à nouveau les élections. Nous avons tout raflé par la grâce de Dieu. Muhammadu Buhari est invincible. Personne ne peut le faire chuter. Ma vie va changer. Nous savons que le président Buhari a commencé le travail et qu'il n'avait pas assez de temps pour accomplir toutes ses promesses. Alors maintenant, avec ses quatre ans supplémentaires, il va le finir point par point. La plupart d'entre nous, nous n'avons pas de travail, nous allons l'obtenir. Nous avons confiance en Muhammadu Buhari car il a un esprit droit. Il va faire ce qu'il lui reste à faire lors de ce second mandat. Cela peut fonctionner. »
Retour au kiosque de la zone 5. Friday est géologue. Ce quadragénaire misait beaucoup sur le programme de relance du secteur privé proposé par Atiku Abubakar. Déçu, il s’adapte et essaie d’imaginer comment l’administration de Muhammadu Buhari pourrait gagner en efficacité. « J’accepte la défaite. J’encourage notre président à changer son administration, parce qu’il est entouré de personnes incompétentes et de mauvais ministres. Du coup, la plupart des agences gouvernementales sont rongées par la mal gouvernance. »
Lutte contre la corruption : bilan contrasté
Pas de colère, pas de frustration : autour de ce kiosque, les débats portent sur les mesures urgentes que le président doit mettre en place afin de marquer le début de son second mandat. Toujours en ligne de mire, la lutte contre la corruption.
Muhamadu Buhari en avait fait son principal thème de campagne en 2015 et l'un des grands axes de son premier mandat. Selon le politologue, Emmanuel Iga, de la Société de géographie à Paris, la lutte contre la corruption a beaucoup joué dans la victoire du président sortant, même si les résultats de sa politique suscitent quelques critiques. « Le président Buhari est perçu par un nombre important de Nigérians comme le M. Propre de la classe politique et il a un peu surfé sur ça pour se faire réélire et il a mené une lutte contre la corruption assez énergique mais dont pas mal de gens ont quand même pensé qu'elle n'était pas équilibrée parce que très souvent c'était des personnes de l'opposition qui étaient recherchées et poursuivies par l'agence de lutte contre la corruption. »