Au Bénin se trouve le seul musée au monde consacré aux récades, ces sceptres royaux utilisés par les rois du Dahomey. Des trésors offerts par des antiquaires et galeristes occidentaux qui les ont acquis en vente publique. Une démarche pédagogique initiée avant le débat sur la restitution.
de notre correspondante à Cotonou,
« Je me souviens encore de mon arrivée à l’aéroport de Cotonou avec la récade du roi Glélé. Il y avait foule et certaines personnes avaient les larmes aux yeux ». Celui qui raconte cet épisode, c’est Robert Vallois. Ce galeriste parisien, octogénaire passionné d’art africain ancien et contemporain, est à l’origine du Petit Musée de la Récade, un espace consacré aux sceptres royaux du Bénin, ouvert en décembre 2015. C’était bien avant qu’on parle de restitution, que l’Etat béninois demande à la France le retour de ses biens culturels et que le président Emmanuel Macron annonce la restitution de 26 œuvres d’art (à ce jour, les modalités n’ont pas été rendues publiques). « C’est un don, précise Robert Vallois, qui a siégé au comité Macron sur la restitution. Nous avons voulu offrir aux Béninois ces objets issus de collections privées ou achetés spécialement pour garnir le musée ».
4000 m2 pour des expositions et des résidences
Il se trouve dans le quartier populaire de Lobozounkpa, dans la commune d’Abomey-Calavi, près de Cotonou, capitale économique. Le bâtiment aux murs blancs, tout en longueur, fait partie du Centre, un espace culturel gratuit de 4000 m2 avec lieu d’exposition et résidences d’artistes. Robert Vallois et des collègues regroupés dans le Collectif des Antiquaires de Saint-Germain-des-Prés ont offert 41 récades. Ce bâton de commandement était utilisé dans le puissant royaume du Danhomé (ou Dahomey en français), entre le 16e siècle et le début du 20e siècle, par les rois installés à Abomey.
« Le terme vient du portugais “recado”, qui veut dire message, explique Bajidé Dakpogan, le conservateur. En fon, la langue d’Abomey, on dit “makpo”, bâton de la rage ». Ce sceptre représente l’autorité royale. En temps de guerre ou pour convoquer un sujet, il était remis au messager pour authentifier l’origine du message. La récade sert aussi comme instrument de danse. « Le roi saluait le peuple avec et il rythmait le début des danses à la cour royale », détaille Bajidé Dakpogan. L’usage était très codifié : accrochée à l’épaule gauche et tenue par la main droite.
Des récades royales aux parcours flous
Parmi les pièces présentées dans une salle climatisée, des récades attribuées au roi Glélé (1858-1889), connu pour en posséder le plus grand nombre, et à son fils, le roi Béhanzin (1890-1894). Réalisées par des artistes royaux, en ivoire, en bois ou en métal, elles sont ornées de leur emblème animal : le lion pour Glélé et le requin pour Béhanzin. Robert Vallois a acquis une des récades de Glélé « 61 500 euros en vente publique en France ». La seconde a été achetée avec la galerie Bernard Dulon 31 500 euros en salle des ventes. D’autres, plus récentes ou n’ayant appartenu qu’à des dignitaires, sont proposées sur le site ede vente en ligne eBay à partir de 250 euros jusqu’à 1000 ou 2000 euros.
D’où viennent les récades royales ? Aucune certitude concernant leur provenance et leur parcours. Pour une ayant appartenu à Glélé : une étiquette manuscrite sur le manche indique qu’elle aurait été trouvée près de son tombeau à Abomey, en 1892 et qu’elle aurait possiblement appartenu à Charles Ratton, collectionneur français, un des premiers à exposer les arts dits primitifs dans l’entre-deux-guerres. La date correspond à la prise de la ville lors de la conquête du Dahomey par les Français, commandés par le colonel Alfred Dodds.
On retrouve cette date sur une autre : acquise en salle des ventes, elle porte une plaque en ivoire avec la gravure « 1892, souvenir de la campagne du Dahomey ». Elle aurait pu être récoltée par un supérieur des troupes françaises. « On a l’histoire seulement pour les pièces importantes, celles qui ont un pedigree », indique Alain Godonou, directeur du programme Musées à l’Agence Nationale de Promotion des Patrimoines et de Développement du Tourisme. « Des anthropologues et des ethnologues ont aussi pris des objets au moment de la colonisation », rappelle Philémon Hounkpatin, historien de l’art. Et puis même 10-15 ans après la disparition d’un roi, on continuait de fabriquer des récades à son effigie pour des cérémonies à son honneur.
Un outil pour la mémoire et l’éducation
« Ces pièces sont rassemblées essentiellement dans un but éducatif. On a 500 visiteurs par mois », souligne Robert Vallois. Parmi eux, beaucoup d’élèves. Hameed est venu avec sa classe de CM2 d’une école privée voisine. « Ça m’a plu, c’est notre histoire », dit le garçon de 12 ans. « C’est important que ces objets soient là, car ils ne sont pas à la portée des enfants. Ils vont mieux comprendre quand on leur parle des rois du Dahomey ! », complète Bernard Djossou, l’enseignant. Certains écoliers ont déjà vu des récades, celles qui accompagnent les vedettes de la chanson traditionnelle originaires d’Abomey.
Preuve que cet objet historique n’a pas disparu. « Quand des visiteurs de marque viennent, la mairie en commande auprès d’artisans locaux pour leur remettre, raconte Gabin Djimassé, directeur de l’Office du tourisme d’Abomey. Et les adeptes du vaudou s’en font fabriquer pour danser lorsqu’ils sont possédés ».
Il y en a aussi dans les collections du musée du Quai Branly à Paris: 157 selon le site. Mais aucune ne fait apparemment partie du lot de 26 pièces qui seront restituées au Bénin.