Analyse

Quand la tenue des élections en 2023 suscite des inquiétudes

By POLITICO CD

March 09, 2021

Après le cycle électoral de 2018 qui a permis à Félix Tshisekedi d’accéder à la magistrature suprême, la Constitution congolaise voudrait qu’un autre cycle soit organisé cinq ans après, soit en 2023. À près de trois ans de l’année butoir, à Kinshasa, les acteurs politiques sont déjà divisés. Entre les appels aux reformes de la loi sur la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et des inquiétudes exprimées de part et d’autres au sujet d’un éventuel glissement, le Président sortant de la CENI Corneille Naanga assure pour sa part que la tenue des élections en 2023 est possible mais à condition que les parties prenantes « s’y mettent à temps ».

La question des élections « en 2023 et pas plus tard » selon la CENCO, est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique. Les uns voudraient que la convocation du corps électoral succède au recensement. Les autres, par contre, ne jurent qu’au respect du délai constitutionnel pour ce qui est de l’organisation des prochaines élections. Pendant ce temps, pour beaucoup et même pour certains à l’intérieur de la CENI, les élections en 2023 restent hypothétiques.

L’inquiétude de la CENCO

Dans leur message sanctionnant leur rencontre du 24 au 25 février, les Princes de l’Église catholique ont exprimé leur inquiétude sur l’organisation des élections prévues en 2023. Face à cette situation, ils ont formulé plusieurs recommandations, notamment l’inscription « parmi les priorités les reformes électorales et la loi portant organisation de la gouvernance électorale » ainsi que la mise en œuvre des mécanismes, « pour gagner le pari de l’organisation des élections crédibles, transparentes et apaisées en 2023 et pas plus tard ».

Pour les évêques catholiques, le Gouvernement congolais devrait tout mettre en œuvre dans le but de gagner le pari d’organiser des élections crédibles, transparentes et apaisées tout en respectant le délai fixé en 2023, question d’éviter tout glissement.

UDPS, le recensement comme condition préalable

L’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), parti au pouvoir, conditionne l’organisation des élections en 2023 par la tenue du recensement général de la population. Devant les militants de l’UDPS, le Secrétaire général Augustin Kabuya Tshilumba a affirmé le 7 mars dernier que son parti est prêt à aller aux élections mais à condition que la population soit préalablement identifiée.

“L’UDPS est pressée d’aller aux élections mais à une seule condition, qu’ils puissent identifier les Congolais. Qui est Congolais et qui ne l’est pas, parce que nous ne voulons pas qu’il y ait des troubles comme lors des dernières élections ici. Nous UDPS, avions dit ceci : si nous accédons au pouvoir, nous allons organiser des vraies élections. Nous allons identifier les vrais Congolais pour aller aux élections. Que personne ne fasse peur à personne. Ça, ce n’est qu’un début, nous allons sillonner tout le pays en 2021 pour montrer le rapport de force. Qu’ils envoient leurs gens dans les réseaux sociaux dire qu’on a peur des élections. Nous, nous n’aurons jamais peur des élections”, avait-t-il déclaré.

« La population se prendra en charge »

Au Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, désormais dans l’opposition, l’on s’en remet plutôt à l’article 64 de la Constitution qui autorise la population à barrer la route à quiconque voudrait prendre le pouvoir par force ou l’exercer en violation des dispositions constitutionnelles. Pour l’opposant Ferdinand Kambere du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), « ce qui étonne l’opinion, c’est à Augustin Kabuya de dire clairement qu’il n’y aura pas élections si le recensement n’est pas effectué au préalable. Nous comprenons qu’ils ne sont pas prêts d’aller aux élections de 2023 ».

À l’hypothèse où les élections ne se tenaient pas à la date échue, Ferdinand Kambere dit compter sur la population : « la population elle-même se prendra en charge, même si certains disent qu’il y a eu glissement de deux ans (avec Kabila), le prétexte de la Covid-19 qui ne serait pas terminée… Non, il y a tous les mécanismes possibles (constitutionnels notamment) pour que le peuple se prenne en charge ».

À la CENI, l’on n’est pas trop sûr

Le Président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), Corneille Naanga, annonce que l’organisation des élections en 2023 est possible, « contrairement à ce que les gens disent ». À l’en croire, ces élections sont « tenables » si seulement les autorités compétentes s’y mettent à temps. Corneille Nangaa affirme en même temps que la centrale électorale s’est déjà lancée dans les préparatifs des scrutins prévus pour 2023.

Parmi les reformes à entamer, Corneille Naanga fait savoir qu’à côté des capacités logistiques de cette institution qu’il faut revoir, l’épineuse question de la révision du fichier électoral, la répartition des sièges mais également le dispatching des matériels dans toutes les provinces.

Tout le monde au sein de la CENI n’est pas de son avis, malheureusement. L’un des membres de la plénière de la CENI, Gustave Omba estime que les élections en 2023 restent hypothétiques à cause notamment des moyens financiers qui ne suivent pas. À l’en croire, plusieurs faits et contraintes démontrent à suffisance que la tenue des élections dans le délai est hypothétique.

« Le vrai problème se trouve du côté des moyens financiers capables d’exécuter ce projet. Quand vous parcourez le budget de l’État, on ne réserve pas grand-chose aux élections. Le pays est en train de traverser une crise économique. Si en 2018 nous avons organisé les élections, c’est parce qu’il y a eu des fonds qui sont sortis outre le budget de l’État, mais aussi l’argent sortait vite parce que la CENI était carrément une vache à lait, l’argent sortait et retournait. Aujourd’hui, le contexte économique et social fait que l’État n’a pas les moyens de son action. Je ne sais pas comment est-ce que nous allons arriver à organiser ces élections. Déjà les agents de la CENI ne sont pas payés. Ils ont un salaire réduit à 60% à 70%. Il faut d’abord les mettre dans les conditions de travail », explique-t-il.

Stéphie MUKINZI