La vidéo de l’exécution des deux experts de l’ONU tués au Kasaï en 2017 a été au centre de l’audience de mardi 20 avril au procès des présumés meurtriers de Zaida Catalan et Michael Sharp devant la cour militaire de l’ex-Kasaï-Occidental.
Le ministère public soutient que les éléments contenus dans cette vidéo ainsi que d’autres éléments qui ont été révélés au cours de l’instruction l’amènent à penser que ce sont des miliciens Kamuina Nsapu qui sont responsables de ce meurtre.
Un point de vue que ne partage pas la journaliste française Sonia Rolley, appelée à témoigner devant la cour comme renseignante dans ce dossier.
La vidéo d’un peu plus de six minutes a été projetée dans la salle d’audience. On y voit Zaida Catalan et Michael Sharp conduits par des hommes dans une broussaille, où ils seront tués quelques minutes après.
Le ministère public fait savoir qu’il ne faut pas regarder cette vidéo comme un film, mais plutôt comme «une pièce à conviction».
Et cette pièce à conviction, le général Muwau dit qu’elle doit être comprise en mettant ensemble ce que l’on entend dans la vidéo et tous les éléments révélés jusqu’à présent par ce procès.
Le procureur cite notamment la proximité de Betu Tshintela avec les services de renseignements, le fait qu’il ait été mis en relation avec les experts par le colonel Mambweni, considéré comme tous les militaires à l’époque par la milice comme un ennemi.
Le général Mawau ajoute que les miliciens de Bunkonde avaient assimilé les experts à des agents de la MONUSCO contre qui ils étaient fâchés après que ces derniers leur ont demandé de cesser les hostilités avant finalement d’être attaqués par des militaires qui leur ont infligé des pertes. Une preuve de leur traîtrise, analyse le procureur, qui dit retrouver le terme «traître» dans le vocabulaire des miliciens que l’on entend dans la vidéo.
C’est finalement tout cela qui, selon le ministère public, pousse les miliciens à tuer les experts le 12 mars 2017, alors qu’ils se rendent justement à Bunkonde pour rencontrer des membres de la milice qui opèrent dans la zone.
«Comme une superproduction américaine»
Appelés à témoigner comme lors de la dernière audience, la journaliste Sonia Rolley de RFI ne fait pas la même lecture de la vidéo que le procureur.
Pour elle, l’analyse de cette vidéo révèle qu’il y a deux groupes de personnes sur le lieu de l’exécution, dont l’un est constitué des personnes qui ne sont pas natives du Kasaï.
La journaliste fait notamment remarquer qu’il y a des mots ou des expressions mal prononcées dans la vidéo en tshiluba ; alors que c’est la langue de la milice.
Une autre «anomalie» révélée par Sonia Rolley : les ordres donnés en lingala et en français par une voix que l’on entend dans la vidéo.
Pour la journaliste, ces deux langues ne sont pas celles des miliciens qui s’expriment avant tout en tshiluba.
«Ce qu’il y a de très problématique avec cette voix en lingala et en français, d’abord effectivement les soi-disant miliciens Kamuina Nsapu lui obéissent au doigt et à l’œil pendant trois coups de feu. Donc, on a «tirez !», coup de feu. «Tirez lisusu», coup de feu. «Tirez», encore coup de feu. Mais que pendant une minute après, il va continuer. On entend en fond sonore quelqu’un qui continue de dire «Tirez, tirez lisusu, tirez». Or, en fait celui qui tourne et qui, pour moi, est le chef sur le terrain est le chef de ce groupe qu’on a en face de nous, lui dit en tshiluba dit que ce n’est pas la peine de continuer de tirer parce qu’ils sont déjà morts», explique Sonia Rolley à l’issue de l’audience.
La journaliste dit avoir le sentiment que la personne qui donne ces ordres en lingala et en français «est au téléphone» et «qu’il n’est pas présent» sur la scène du crime.
Selon elle, ce vidéo a été réalisée pour accréditer la thèse selon laquelle ce sont les miliciens Kamuina Nsapu qui ont exécuté les deux experts de l’ONU.
«Même la manière dont ça nous a été transmis ou ça a été transmis à tout le monde, c’était, je pense, dans l’absolu dans l’idée d’essayer de montrer que c’était des Kamuina Nsapu. Là, ça fait un peu superproduction américaine où on aurait voulu reproduire le meurtre de Zaida Catalan et Michael Sharp», confie Sonia Rolley.
A l’audience, la journaliste a demandé une analyse de la voix qui donne l’ordre de tuer en lingala et français. Le ministère public a reconnu ne jamais avoir réussi à l’identifier.
Sonia Rolley a également demandé une analyse de la vidéo pour déterminer l’heure du meurtre.