Dans une interview à Radio Okapi, l’ambassadeur de l’Union européenne en RDC, Jean-Marc Châtaignier, explique que son organisation maintient encore ses sanctions contre douze personnalités congolaises jusqu’à ce « qu’il y ait des procédures judiciaires qui soient entamées en République démocratique du Congo » pour juger ces personnes. L’UE continue par ailleurs d’accompagner la RDC dans la reconstruction de l’Etat des droits, dans la restauration de l’autorité de l’Etat. Interview intégrale :
Radio Okapi : l’Union européenne vient de lever les sanctions pour deux personnalités congolaises ; alors, qu’est-ce qui a milité pour la levée de ces sanctions ?
Jean-Marc Châtaignier : D’abord, je vous répondrais que c’est un fait d’actualité parmi d’autres. Et il y en a d’autres qui sont infiniment plus tragiques, me semble-t-il, dans ce pays ; par exemple les tueries qui sont commises contre les civils encore et encore à Beni. C’est un fait d’actualité parmi d’autres ! Je ne vais pas les minimiser, ce n’est peut-être pas plus important. Deuxièmement, je vous voudrais vous dire que ce ne sont pas forcément des sanctions, c’est en aucun cas des sanctions contre la République démocratique du Congo, ce sont des mesures individuelles, restrictives qui ont été appliquées contre un certain nombre d’individus.
RO : mais ce sont des dirigeants congolais…
JMC : pour deux raisons essentielles parce que ce sont des personnes qui s’étaient opposées à la tenue du processus électoral et deux, parce que ce sont des personnes qui ont été suspectées de participer à des massacres ou à des actes de crimes humains graves. Et donc ces deux raisons ont motivé ces mesures individuelles, restrictives contre ces quatorze personnes. Aussi si aujourd’hui nous les levons pour deux personnes, c’est que ces deux personnes nous avons considéré qu’elles ne s’opposaient plus de fait au processus électoral puisque celui a réussi, a abouti à une transition pacifique. C’est dans ce cadre que ces mesures individuelles restrictives ont été levées contre deux personnes. Donc, c’est un signal très positif que nous adressons pour dire que nous continuons à accompagner le processus démocratique, inclusif en République démocratique du Congo.
RO : le changement intervenu dans le pays, donc au niveau du régime en RDC, l’Union européenne continue alors malgré ça à maintenir les sanctions. Il y a quand-même une évolution non, comme vous le dites…
JMC : un, ce ne sont pas des sanctions mais des mesures individuelles restrictives.
RO : sur le plan diplomatique, on a parlé de sanctions contre les autorités congolaises…
JMC : Mais, individuelles restrictives… La décision, soyons toujours très précis dans nos termes, c’est le terme employé par le Conseil européen et ce sont des mesures individuelles restrictives, ce ne sont en aucun cas des sanctions contre le peuple congolais, contre le Congo. Ce sont des procédures qui ont visé un nombre très très limité de personnes.
RO : Pourquoi, Monsieur l’Ambassadeur, vous continuez à maintenir ces sanctions contre les douze autres personnes ?
JMC : Nous continuons à maintenir ces mesures individuelles restrictives contre ces personnes, parce qu’elles sont suspectées d’abord d’avoir participé ou d’avoir orchestré ou d’avoir été en lien avec des crimes graves contre l’humanité. Et donc, nous souhaitons qu’il y ait des procédures judiciaires qui soient entamées en République démocratique du Congo, qu’elles puissent ou non d’ailleurs établir leur innocence. Mais, nous souhaitons vraiment qu’il y ait un cadre judiciaire qui soit mis en place. Et donc tant que ce cadre judiciaire n’aura pas été mis en place, nous ne serons pas à mesure pour l’instant de lever ces mesures individuelles respectives.
RO : cela veut dire que si la justice congolaise parvient à se prononcer en faveur de ces personnes-là, vous levez carrément les mesures ?
JMC : se prononcer en faveur je ne sais pas ! Mais qu’il y ait des procédures judiciaires qui soient mises en place, oui nous prendrons bien sûr en considération.
RO : autre chose, l’Est de la RDC connait une crise très grave marquée par l’insécurité, par l’épidémie d’Ebola, nous savons aussi que l’Union européenne a accordé 50 millions d’euros à titre d’appui à la lutte contre Ebola et à la malnutrition notamment, mais quelle est votre contribution pour le rétablissement de la sécurité, dont dépend la bonne marche de vos opérations en RDC ?
JMC : alors, ce que je peux d’abord préciser est que ces 50 millions supplémentaires dans le cadre de la lutte contre Ebola, de la lutte contre la malnutrition, ce sont des fonds additionnels aux fonds européens du développement. Donc, on a 620 millions d’euros sur la période 2014-2020. Ce sont les 50 millions d’euros supplémentaires qui viennent en soutien au système de santé.
C’est aussi dans ce cadre-là que nous allons décider de mettre en place ces 10 millions d’euros pour la lutte contre la malnutrition, qui est un facteur très grave en RDC. Ce qui me scandalise profondément, c’est que dans ce pays qu’il y a toutes les ressources pour nourrir sa population, peut-être pour nourrir l’Afrique, peut-être pour nourrir le monde qu’il y a des gens qui souffrent d’insécurité alimentaire.
Je n’oublie évidemment pas votre question sur la sécurité… L’Union européenne, dans le cadre des décisions qui viennent justement d’être prises sur les mesures individuelles restrictives, a aussi annoncé le cadre de ses réengagements sur l’Etat des droits en RDC. Nous venons aussi de décider de mettre en place un nouveau programme d’appui au ministère de la Justice, l’Etat des droits.
Nous allons étudier, travailler, sur ce que nous pouvons faire dans le cadre de l’appui à la police. Nous sommes en train de regarder les conditions d’appui au système sécuritaire et au système des forces armées de la République démocratique du Congo. Donc, nous souhaitons véritablement accompagner nos partenaires congolais dans la reconstruction de l’Etat des droits, dans la réinstallation de l’Etat, qui est souhaité par le Président Tshisekedi, dans l’Est du Congo.
RO : Moi, je voudrais que vous soyez beaucoup plus concret Monsieur l’Ambassadeur… A combien est-ce qu’on peut chiffrer votre appui à la sécurisation de l’Est de la République démocratique du Congo ?
JMC : Alors, je ne peux pas le chiffer comme ça instantanément. Je peux vous donner l’enveloppe que je vous ai dit toute à l’heure de 670 millions d’euros, dont les 50 millions d’euros particulièrement sur le secteur de la santé et la lutte contre la malnutrition dans l’Est.
Mais, tous nos programmes – que ce soit nos programmes d’environnement, nos programmes d’infrastructures, nos programmes de gouvernance – sont concentrés en grande partie sur l’Est du Congo, mais pas exclusivement, parce que je tiens à le répéter des projets très concrets notamment à Goma, des réhabilitations d’infrastructures, nous appuyons véritablement la police, la justice, nous travaillons avec la MONUSCO pour voir comment nous pouvons participer aussi aux logiques de DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion) des anciens combattants.
Nous allons voir les secteurs sur lesquels nous allons continuer à intervenir. Je pense : le rétablissement de l’Etat, la justice, la police, la consolidation de l’appareil de sécurité, bien sûr les questions d’environnement sur lesquelles nous avons de grosses actions sur des parcs nationaux, je pense au Parc national des Virunga. Et là, nous avons je pense une action très concrète, ça participe aussi à la sécurité, à la stabilisation de la région du Kivu.
Nous participons à la construction des centrales hydroélectriques. Et ça permet d’abord de créer de l’emploi pour la construction et ensuite cette électricité va desservir la ville de Goma et ça va permettre à un certain nombre des personnes d’accéder au développement.
Vous pouvez télécharger l’entretien ici:
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