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Moïse Katumbi : « Le plus important pour nous, c’est d’abord la cohésion nationale »

Pour la première fois depuis la présidentielle du 30 décembre, l’opposant congolais Moïse Katumbi sort de son silence. Dans une interview exclusive accordée aux médias français RFI et France 24, le coordonnateur de la plateforme d’opposition Lamuka annonce qu’après trois ans d’exil, il rentre par avion à Lubumbashi le 20 mai prochain. Il rentre mais déclare qu’il reste dans l’oppositin. Traité de « Judas » par Joseph Kabila, dans les colonnes de Jeune Afrique, Katumbi réplique : « Ce n’est surtout pas à Joseph Kabila de me traiter de Judas. Je crois qu’il doit lire la Bible ».

Affaire Stoupis

Marc Perelman : Monsieur Katumbi, la justice congolaise vient de rendre deux décisions qui vous sont favorables dans l’affaire de la spoliation immobilière, dans celle des mercenaires. Est-ce que vous pensez que vous êtes désormais totalement innocenté ?

Moïse Katumbi : Heureusement aujourd’hui, la justice peut dire le droit parce qu’il n’y a plus d’interférence de la politique dans notre justice. Je ne suis pas le seul. Je savais que j’étais innocent et que mes procès étaient des mascarades comme l’avez dit la Cenco [conférence épiscopale nationale du Congo].

Christophe Boisbouvier : Depuis cent jours, il y a eu plusieurs contacts entre votre entourage et celui de Félix Tshisekedi, notamment à Genève et dans d’autres villes européennes. Est-ce qu’on peut dire que ces deux décisions de justice sont le résultat d’un accord entre l’entourage de Félix Tshisekedi et le vôtre ?

Il n’y a pas eu de contact avec le camp de Félix Tshisekedi. Je vous dis très bien que la justice aujourd’hui peut dire le droit dans notre pays. Le grand problème qu’on avait à l’époque, c’était l’ingérence de la politique. Ils ont tout fait pour me bloquer pour ne pas rentrer au pays et pour ne pas être candidat. Ils l’ont fait aussi pour Jean-Pierre Bemba.

CB : Donc l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi a peut-être facilité les choses du point de vue de la justice congolaise ?

Il y a des choses positives que Félix Tshisekedi est en train de faire. Par exemple, la liberté d’expression dans notre pays, la libération de prisonniers politiques et aussi supprimer les cachots au service de renseignements [Agence nationale de renseignements (ANR)]. Il y a des gens qui sont restés dans ces cachots pendant dix ans, huit ans, sans être jugés. Donc il y a de bonnes choses de ce côté-là.

CB : Et c’est peut-être aussi pour cela qu’aujourd’hui, les décisions de justice vous sont favorables ?

Pas du tout. Il n’y a pas eu ingérence de ce côté-là. J’étais déjà en justice et j’avais fait appel en justice. Et le problème du procès par exemple de monsieur Stoupis, c’était avec la plainte de madame Chantal Ramazani [magistrate congolaise qui a déclaré avoir condamné Moïse Katumbi à la suite de pressions politiques].

« Consoler les familles maltraitées »

MP : On vous a également il y a quelques semaines rendu votre passeport congolais. Il semble que les obstacles judiciaires n’en sont plus. Est-ce que cela veut dire que trois ans après votre départ de RDC, vous allez rentrer au pays ? Et si oui, quand ?

D’abord, je venais d’avoir mon passeport il n’y a pas longtemps. Priver quelqu’un de sa nationalité, de son passeport, c’est un crime parce que monsieur Joseph Kabila ne voulait pas que je puisse rentrer au pays. Et je ne suis pas le seul à avoir retrouvé son passeport. Donc j’ai quitté le pays, c’est vrai il y a trois ans, c’était le 20 mai. C’est pourquoi en ce moment même, j’ai beaucoup réfléchi : si je suis venu ici aujourd’hui pour cette interview, c’est pour mon retour au pays. Je voudrais rentrer au pays. Et je vais vous donner la date : je rentre le 20 mai à Lubumbashi pour rester avec les miens, pour consoler les familles qui ont été maltraitées. Et moi j’étais à l’étranger, mais eux ils ont vécu l’enfer. Et c’est pour cela que je demanderai à tous les juristes congolais qui vivent dans la diaspora, les ONG des droits de l’homme et les églises, il faudrait qu’on puisse réécrire l’histoire de notre pays. Il y a eu beaucoup de morts, il faudrait qu’on ouvre un bureau pour recenser tous ces morts-là et les familles qui n’ont pas fait le deuil. Donc je vais pour consoler d’abord ma population.

MP : Donc c’est ferme et définitif : le 20 mai, trois ans jour pour jour après votre départ, vous serez à Lubumbashi dans votre pays…

C’est définitif, le 20 mai je suis à Lubumbashi. Et je vais faire le tour du Congo. Je vais faire le safari. Je voudrais aller remercier la population congolaise qui m’a soutenu pendant le malheur provoqué par monsieur Kabila.

CB : Un point de détail : vous rentrez le 20 mai par avion ou par voie terrestre comme vous avez tenté par deux fois déjà en venant de la Zambie ?

A l’époque, on m’a refusé plusieurs fois l’autorisation d’atterrissage. Je vais rentrer par avion à Lubumbashi.

« Le Judas, c’est Kabila »

CB : Alors dans Jeune Afrique, il y a quatre mois, Joseph Kabila vous a comparé à « Judas », c’est-à-dire à la figure du traître. Il a même ajouté que vous devriez en assumer les conséquences. C’est menaçant. Or, Joseph Kabila compte encore beaucoup de fidèles dans l’appareil d’État. Ne craignez-vous pas un mauvais coup à votre retour ?

(Rires) Ce n’est surtout pas à Joseph Kabila de me traiter de Judas. Je crois qu’il doit lire la Bible. Aujourd’hui, monsieur Kabila doit faire son examen de conscience. Il est resté au pouvoir de 2016 à 2018, il a trahi la Constitution congolaise, il a trahi le peuple congolais, il a tué à l’est du Congo, à Béni et dans les deux Kasaï, il y a l’insécurité qui règne aujourd’hui. Moi, je ne voulais pas rester avec l’incarnation du mal, c’est pourquoi j’ai quitté Kabila. Si lui peut se comparer au Christ, je demande à la population congolaise de nous juger. Pour moi, le Judas c’est Kabila.

CB : Mais vous avez des garanties pour votre sécurité à partir du 20 mai ?

La sécurité, d’abord c’est la population congolaise. Je rentre chez nous, je ne rentre pas avec des militaires, je rendre pour aider mon peuple à sortir de la misère.

« Je rentre au pays. Je reste opposant »

MP : Malgré les gestes de Félix Tshisekedi envers vous, vous restez solidaire au candidat malheureux à l’élection présidentielle, Martin Fayulu. Vous êtes président d’Ensemble pour le changement et vous venez de prendre la présidence tournante de la plateforme d’opposition Lamuka. Est-ce que vous restez un opposant résolu ? Et est-ce que vous continuez à réclamer la vérité des urnes comme lui ?

Il y a eu les élections chaotiques dans notre pays, des élections chaotiques planifiées par Joseph Kabila. Les élections en 2011 et en 2018 n’ont pas été organisées par Martin Fayulu ou par Félix Tshisekedi. Ces élections ont été organisées par Joseph Kabila. Je rentre au pays. Je reste opposant et je suis le coordonnateur de la Lamuka et le président d’Ensemble pour le changement.

CB : Et de ce point de vue, est-ce que, comme Martin Fayulu, vous réclamez une grande concertation nationale sous l’égide de l’Union africaine dans les semaines qui viennent pour organiser de nouvelles élections d’ici la fin de l’année ?

Le plus important pour nous, c’est d’abord la cohésion nationale. Nous avons quitté la plateforme électorale de Lamuka pour créer la plateforme politique d’aujourd’hui. Qu’est-ce que nous devons défendre ? Je crois que c’était dans notre communiqué à Bruxelles, nous devons d’abord défendre strictement notre Constitution parce que je sais que les députés nommés avec la présidente Jeannine Mabunda veulent toucher à la Constitution. Là, nous ne serions pas d’accord. Je me suis battu contre Kabila pour qu’il ne puisse pas avoir le troisième mandat. Vous allez voir que, si je rentre au pays, d’abord c’est pour que la population soit consciente, qu’elle soit éveillée pour défendre notre Constitution, qu’on ne touche pas aux articles intangibles de la Constitution.

MP : Est-ce que vous pouvez quand même clarifier quelque chose : est-ce que pour vous Martin Fayulu est le véritable vainqueur de ces élections ?

Il y a eu des élections chaotiques. Il y a eu beaucoup d’irrégularités…

MP : Il l’est ou pas ?

Beaucoup d’irrégularités dans notre pays. La Cour constitutionnelle a proclamé monsieur Félix Tshisekedi comme président de la République.

« La reconstruction de notre pays, c’est le plus important »

CB : Dont acte ? Vous en prenez acte ou bien, au contraire, vous estimez qu’il faut s’opposer à cette élection ?

On doit aller de l’avant. Le plus important pour nous, c’est aller de l’avant. Nous serons dans l’opposition pour défendre la population congolaise. La reconstruction de notre pays, c’est le plus important.

CB : Justement, comme votre mouvement Ensemble pour le changement dispose du plus grand nombre de députés d’opposition au sein de l’Assemblée nationale, on imagine que vous allez prendre le leadership de l’opposition. Mais certains se demandent si, en fait, vous n’envisagez pas un changement d’alliance afin de vous rapprocher du parti de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Félix Tshisekedi ?

Être opposant, c’est vraiment un grand métier pour permettre à la population congolaise de vivre la vraie démocratie et le développement. Moise Katumbi va rester dans l’opposition, mais une opposition républicaine. Cette opposition, on va condamner là où il faudrait condamner. On va féliciter là où il faudrait féliciter. On va donner des conseils et des solutions aussi.

MP : Mais il y a quand même une clarification. Martin Fayulu appelle à « la démission de Félix Tshisekedi ». On aimerait savoir si vous êtes d’accord avec cet appel ou si vous dites « non » ?

Le plus important aujourd’hui, c’est quoi ? C’est la cohésion nationale du Congo, l’unité de notre pays.

« Lutter contre les antivaleurs »

MP : Donc vous n’êtes pas d’accord avec Martin Fayulu ?

On a tant souffert dans notre pays. Lisez le communiqué de Lamuka à Bruxelles où nous avions dit que nous allons défendre notre propre Constitution, lutter contre les antivaleurs dans notre pays, avoir un État de droit. Donc, il y a beaucoup de choses à faire. Nous devons pouvoir avancer.

MP : Est-ce que vous pouvez être clair : est-ce que vous êtes contre Martin Fayulu appelant à la démission de Félix Tshisekedi, oui ou non ?

Ce que je suis en train de vous dire, je l’ai dit au début : la Cour constitutionnelle a proclamé monsieur Félix Tshisekedi président de la République. Pour moi, je suis un homme pragmatique, je ne voudrais pas entrer dans des débats qui pourront un jour ramener le mal dans notre pays. Donc, le plus important pour nous, c’est l’avenir du peuple congolais.

CB : Justement, l’avenir. Que répondez-vous à ceux qui disent : vous rentrez le 20 mai, parce que vous êtes plus un homme d’affaires qu’un homme politique et que vous rentrez peut-être plus pour vous occuper de vos entreprises. Parce que vous êtes un riche homme d’affaires, et que vous ne serez pas candidat en fait à la prochaine élection présidentielle…

Si je rentrais pour mes affaires, je ne pouvais pas m’opposer contre monsieur Kabila. Je suis un homme politique. J’avais beaucoup réfléchi avant de défendre la Constitution. Vous vous rappelez, j’avais parlé du troisième faux pénalty. Aujourd’hui, je rentre au pays, c’est pour défendre la population congolaise. Il faut que la population congolaise soit réveillée. Nous ne voulons plus subir comme tout ce qu’on a subi pendant 18 ans de Kabila au pouvoir.

CB : Donc vous serez candidat ?

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas parler de la candidature, parce que nous avons encore cinq ans. Mais le boulot que j’aurai, en tant que coordonnateur de Lamuka, c’est que je vais sillonner toutes les provinces, je vais aussi transformer Ensemble pour le changement en un grand parti politique. Donc il y a beaucoup de choses à faire. Faisons ce qui est le mieux pour la population congolaise. Cinq ans, c’est encore loin.

Avec RFI et France 24.

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