Le président Donald Trump fait de la députée somalienne Ilhan Omar l’un des épouvantails de sa campagne pour la réélection à la Maison Blanche en novembre – et par procuration de son pays de naissance, la Somalie.
Lors de sa dernière attaque, pendant un meeting de campagne à Tulsa, dans l’Oklahoma, il a critiqué la jeune femme de 37 ans en alléguant qu’elle voulait apporter l' »anarchie » de la Somalie aux États-Unis.
« Elle voudrait que le gouvernement de notre pays soit le même que celui du pays d’où elle vient – la Somalie. Pas de gouvernement, pas de sécurité, pas de police, rien, juste l’anarchie. Et maintenant, elle nous dit comment diriger notre pays. Non, merci », a-t-il déclaré.
Mme Omar, qui est arrivée aux États-Unis en tant qu’enfant réfugié en 1995, est la représentante du Congrès pour le Minnesota, qui comprend la ville de Minneapolis où l’Afro-Américain George Floyd a été tué par la police en mai, ce qui a relancé les manifestations de Black Lives Matter.
Mais c’est sur l’héritage somalien de Mme Omar que le président a choisi de se concentrer à Tulsa, peut-être pour détourner l’attention de toute l’agitation et des troubles.
En réponse, Mme Omar a déclaré que ses propos étaient « racistes ». Elle a ajouté que sa colère provenait d’un récent sondage qui avait montré qu’il était derrière son rival, le candidat démocrate à la présidence Joe Biden, dans son État, qui abrite une importante communauté somalienne-américaine.
Le président a décrit Mme Omar comme une « socialiste haineuse et antiaméricaine », mettant en garde qu’elle aurait un rôle à jouer dans l’avenir du pays si M. Biden venait à gagner.
Mme Omar avait été une des principales supportrices de Bernie Sanders pour obtenir le ticket démocrate.
Mais une telle rhétorique convient bien à sa base, donc le décor électoral est planté, le casting choisi – et Mme Omar et la Somalie ont des rôles principaux.
En fait, tout a débuté l’année dernière lors du meeting de M. Trump en Caroline du Nord, où la foule a scandé des slogans à propos de Mme Omar : « Renvoyez-la chez elle ! Renvoyez-la chez elle ! »
Cela faisait écho à la phrase « enfermez-la » adoptée par ses partisans contre sa rivale Hillary Clinton à l’approche de l’élection présidentielle de 2016.
Mme Omar, qui est une des plus dure critique du président, avait été au coeur d’une polémique à l’époque – censurée par les démocrates et les républicains – pour avoir alimenté les stéréotypes sur les juifs et s’était excusée pour des tweets laissant entendre que les législateurs américains ne soutiennent Israël que grâce à l’argent des lobbies.
Le sénateur républicain Rand Paul avait proposé à l' »ingrate » Mme Omar d’acheter un billet d’avion pour se rendre en Somalie. Il lui a suggéré d’y repartir pour mieux apprécier les Etats-Unis.
La Somalie n’est pas un cauchemar hobbesien
Il semble que l’opinion de M. Trump sur la Somalie découle des conséquences du renversement de Siad Barre en 1991, depuis lors, ce pays est considéré par la population comme l’un des États les plus défaillants du monde.
Cette étiquette s’est obstinément maintenue alors même que la situation s’est améliorée dans le pays.
Alors que M. Trump imagine que la Somalie n’a pas de lois, pas de police et pas de gouvernement, c’est loin de la réalité sur le terrain.
Si Al-Shabab commet toujours des attaques à Mogadiscio, ce pays n’est pas le cauchemar hobbesien que décrit le président Trump.
L’impressionnant nouveau Théâtre national a été inauguré la semaine dernière. Il y a des hôtels, des cafés et des restaurants de luxe sur la plage de Mogadiscio et la ville organise même un festival littéraire, le Salon du livre annuel de Mogadiscio
Hargeisa, capitale de la république autoproclamée du Somaliland, est l’une des villes les plus paisibles de la Corne de l’Afrique. Elle possède des bibliothèques et le centre culturel de Hargeisa, tandis que la foire du livre de Hargeisa, qui a lieu depuis plus de dix ans, attire des milliers de personnes chaque année.
Et même s’il n’est pas reconnu au niveau international, le Somaliland a organisé des élections successives, libres et équitables, ce qui en fait la démocratie la plus forte de la Corne de l’Afrique.
Sur le plan économique, si les défis sont nombreux et sont aggravés par la sécheresse, le coronavirus et une invasion de criquets, il y a aussi de bonnes nouvelles.
Dahabshill et World Remit, deux des plus grandes sociétés de transfert d’argent en Afrique, ont été fondées par des Somaliens et le pays est pratiquement une société sans argent en cash, tout étant payé par l’argent mobile.
Un gouvernement soutenu par les Nations unies fait de petits pas dans la reconstruction du pays et s’attaque aux militants islamistes – aidés par les nombreux Somaliens de la diaspora qui rentrent chez eux.
Un ancien républicain dirige la Somalie
Parmi les rapatriés figurent l’actuel président Mohamed Abdullahi Mohamed, plus connu sous le nom de « Farmajo », qui était un républicain enregistré à Buffalo et a renoncé à sa citoyenneté américaine pour diriger le pays en 2017.
Pour M. Trump et ses partisans, l’image de la Somalie est peut-être encore ternie par les événements de 1993 – l’une des plus importantes interventions étrangères américaines en Afrique, lorsque les troupes américaines ont lancé un raid désastreux dans la capitale somalienne, Mogadiscio, pour capturer un puissant seigneur de la guerre.
Deux hélicoptères Black Hawk américains ont été abattus, et 18 soldats américains et plus de 500 Somaliens ont été tués dans la bataille.
Les scènes de ces soldats traînés dans les rues ont choqué les Américains et ont eu un impact significatif sur la politique étrangère américaine dans la région.
Mais sous le président Trump, les Etats-Unis se sont engagés dans une guerre secrète en Somalie contre le groupe militant islamiste al-Shabab, en utilisant des drones et des forces spéciales, ce que peu d’Américains savent.
Certains Somaliens trouvent la vision de M. Trump sur leur pays déconcertante, arguant que c’est en partie sa politique qui a rendu le pays plus dangereux – et disant que ce sont souvent des civils somaliens, et non des militants, qui sont à l’origine des attaques de drones américains qui ont augmenté sous sa présidence.
Une musulmane fière de porter le Hijab
L’effondrement de la Somalie, il y a près de trois décennies, a dispersé les Somaliens dans le monde entier, du cercle arctique à la Nouvelle-Zélande.
Aux États-Unis, Minneapolis abrite l’une des plus importantes diasporas somaliennes au monde, une communauté noire et musulmane.
Depuis le 11 septembre 2001, la place des musulmans en Amérique fait l’objet de vives discussions. M. Trump utilise souvent une rhétorique anti-musulmane dans son portrait des bons et des mauvais migrants, jouant sur ces craintes.
Pour le président, Mme Omar ne correspond pas à son idée d’un « bon migrant ». Cette fière politicienne portant le Hijab s’est battue pour son droit de porter des foulards à la Chambre des représentants, en renversant une interdiction vieille de 181 ans.
Elle n’a pas peur d’être musulmane, ce qui la différencie d’une autre femme américano-somalienne de premier plan, Ayaan Hirsi Ali, ancienne politicienne néerlandaise, qui est une critique virulente de l’Islam.
L’année dernière, Tucker Carlson, un animateur de Fox News – la chaîne d’information préférée de M. Trump, a comparé Mme Hirsi Ali et Mme Omar, en disant : « deux immigrés somaliennes, l’une des personnes les plus impressionnantes d’Amérique. L’autre, parmi les moins impressionnantes ».
Alors que le film de la campagne américaine se déroulera au cours des cinq prochains mois, vous pouvez vous attendre à ce que ces guerres culturelles se jouent davantage lors des rassemblements de M. Trump.