Environ 450 millions de personnes dans le monde souffrent actuellement d’une maladie mentale, ce qui en fait l’un des principaux problèmes de santé. Se pourrait-il que des personnes sans formation médicale détiennent la clé pour aider à résoudre ce problème ?
Les habitants des pays à revenu élevé sont souvent confrontés à un manque de services de santé mentale, mais dans les pays à revenu intermédiaire et faible, l’ampleur du problème peut être bien plus grande.
Des millions de personnes souffrant de maladies comme la dépression, l’anxiété et la schizophrénie luttent pour obtenir un traitement en raison du manque de ressources et de la stigmatisation des problèmes de santé mentale.
Les femmes enceintes constituent un groupe particulièrement à risque.
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Au Kenya, par exemple, les symptômes de dépression tels que la fatigue et les problèmes de sommeil sont parfois considérés comme des symptômes purement liés à la grossesse, ou même attribués à la sorcellerie.
Ce manque d’attention médicale, combiné à des taux élevés de violences domestiques, a contribué à un taux de mortalité maternelle de 0,5% en 2015, l’un des plus élevés au monde.
La dépression pendant la grossesse est également associée à un faible poids à la naissance, à des mauvais traitements et à des problèmes d’allaitement.
Un million de personnes sans psychiatre
Le Kenya ne compte que deux professionnels de la santé mentale pour 100 000 habitants, et ils sont concentrés dans les zones urbaines. Cela signifie que certains zones rurales comptent des millions d’habitants, mais aucun psychiatre.
On estime que 75 % des personnes souffrant de troubles mentaux dans les pays les plus pauvres n’ont pas accès à un traitement médical. Cela signifie qu’un grand nombre d’entre eux doivent se tourner vers des guérisseurs traditionnels non spécialisés, des religieux et des agents de santé communautaires.
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Nous avons découvert qu’en formant ces groupes au dépistage des troubles de santé mentale, nous pourrions réduire considérablement le nombre de personnes qui n’ont pas accès au traitement.
Sur la base de ces résultats, des accoucheuses traditionnelles ont été formées au dépistage de la dépression chez plus de 1 700 femmes enceintes dans le cadre d’une étude pilote menée par la Fondation africaine pour la recherche et la formation en santé mentale.
L’étude a eu lieu dans le comté de Makueni, une partie essentiellement rurale du sud-est du Kenya. L’un des comtés les plus pauvres du pays, où il n’a pas de psychologues résidents.
Qui sont les accoucheuses traditionnelles ?
- Les accoucheuses sont souvent le premier point de contact des femmes enceintes en Afrique rurale,
- Bien qu’elles n’aient pas de formation médicale, elles jouent un rôle semblable à celui des sages-femmes,
- Apprenant par l’apprentissage, elles reçoivent généralement de l’argent ou des paiements en nature de la part de la famille de la femme,
- En plus de l’accouchement, les accoucheuses rassurent les femmes et les aident à se préparer à devenir mère, tout en essayant de réduire les conflits familiaux,
- Les accoucheuses ont utilisé le questionnaire de l’Échelle de dépression postnatale d’Édimbourg, puis un guide d’intervention en santé mentale de l’OMS, tous deux conçus pour être utilisés hors des cliniques et des hôpitaux.
Violences domestiques
Les résultats de l’examen préalable ont été frappants.
Un quart des mères de l’étude présentaient une dépression légère à modérée. Les trois quarts avaient été victimes de violence de la part de leur partenaire, qu’il s’agisse de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, ou de comportements de contrôle excessif. La moitié sont victimes d’au moins deux formes de violence.
Près de 60 % des mères ayant reçu un diagnostic de dépression ont été traitées par leurs accoucheuses dans le cadre d’un programme de l’Organisation mondiale de la santé conçu pour être utilisé par des non-spécialistes.
Les mères avaient en moyenne 26 ans, dont près de la moitié avaient entre 12 et 24 ans.
Une jeune mère participant à l’étude, Ndanu*, a reçu un diagnostic de dépression.
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Elle a dit : « Sans ce programme et l’aide d’une accoucheuse, je n’aurais pas pu garder ce bébé à terme et peut-être pas partir pour toutes les visites prénatales ».
« L’accoucheuse m’a conseillée, m’a encouragée à garder le bébé en me disant que ce n’était pas ma faute et que les enfants sont une bénédiction et que je devrais aller au centre de santé pour les soins prénataux. Elle a promis de venir me voir et a ouvert sa maison pour que je puisse lui parler quand je le voulais », a-t-elle raconté.
Les accoucheuses sont intervenues en parlant des problèmes, en impliquant les membres de la famille et en signalant tout signe de mauvais traitement.
Ils ont encouragé les mères dépressives à faire de l’exercice et à maintenir un cycle de sommeil régulier, à reconstruire leurs réseaux sociaux et à reprendre les activités qu’elles aimaient auparavant. Les mères ont également eu l’occasion de participer à des activités communautaires et de se joindre à des groupes de soutien.
Mueni*, une accoucheuse participant à l’étude, a déclaré :
« une mère enceinte s’ouvre à nous et nous essayons de comprendre les raisons de sa dépression, nous résolvons les problèmes par l’orientation et le conseil. Si la question est enracinée sur ses parents ou son conjoint, nous les engageons et nous parvenons à un accord. »
Les mères qui ont reçu le traitement ont vu leurs symptômes dépressifs diminuer de 55 % au bout de trois mois, comparativement à 26 % de celles qui n’ont pas eu d’intervention spécifique.
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Services discrets de santé mentale
Ces premiers résultats suggèrent que la formation d’accoucheuses en soins de santé mentale pourrait améliorer le bien-être des mères et de leurs enfants, non seulement au Kenya mais dans tous les pays où des agents de santé communautaires similaires travaillent.
Les accoucheuses sont généralement accessibles et ont de bonnes relations avec leurs patientes, ce qui signifie qu’elles sont bien placées pour offrir des services de santé mentale discrets et à faible coût.
La formation d’un plus grand nombre de psychiatres serait utile, mais cela prend beaucoup de temps et d’argent.
Les accoucheuses pourraient combler l’écart en offrant un niveau accessible et acceptable de soins de santé mentale de base dans les régions sous-financées, tout en assurant un lien entre les professionnels de la santé et les femmes enceintes.
*Les noms ont été changés
A propos de cet article
Cette analyse a été commandée par la BBC à un expert travaillant pour une organisation extérieure.
Christine Musyimi est responsable du département d’éthique de la recherche et des publications scientifiques à la Fondation africaine pour la recherche et la formation en santé mentale.
L’étude sur les accoucheuses a été soutenue par Grand Challenges Africa, une initiative cofinancée par l’Académie africaine des sciences (AAS).
L’AAS se décrit comme une organisation apolitique, à but non lucratif, visant à transformer la vie sur le continent africain par la science.
Edité par Eleanor Lawrie