Sur un fourneau artisanal fait à base d’aluminium, Aka Allé Lydie fait cuire du poisson avec quelques morceaux d’un combustible en forme de petites madeleines.
Baptisé « Effery Moby » par les ménagères, ce combustible est un biocharbon produit à base de cabosse de cacao vide.
« Ce charbon produit un feu fort et sans fumée idéal pour la cuisine » fait remarquer la restauratrice qui propose du poisson braisé à ces clients.
La production du biocharbon d’Effery ou « Effery Moby » est le fruit de longs mois de recherches et d’expérimentations réalisées par l’Association des propriétaires de forêts naturelles et plantations d’Affery (APFNP).
L’APFNP est une ONG basée à Affery (une ville du sud de la Côte d’Ivoire) qui travaille dans le domaine de la lutte contre la déforestation liée à la culture du cacao et à l’exploitation du bois de chauffe.
« L’idée de produire le biocharbon nous est venue après avoir regardé un documentaire sur le biocharbon au Rwanda. Dans ce documentaire, le charbon était réalisé avec des restes de cuisines comme les épluchures. Nous nous sommes dit pourquoi ne pas tenter l’expérience au plan local », raconte Jeanne Kobon, présidente de l’APFNP.
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Les membres de l’ONG vont multiplier les recherches sur internet, parcourir des milliers de pages de documents sur le biocharbon avant de lancer leurs premières expériences.
« C’était une production à tâtons : on réduisait les épluchures au pilon et le processus de carbonisation n’était pas parfait puisqu’on le faisait dans des chaudrons. Il produisait énormément de fumée », explique Coné Gaoussou, secrétaire général de l’ONG.
Mais à force de recherche et d’essai, l’APFNP va arriver à la mise en place d’un processus de production : la carbonisation et la production du biocharbon grâce à un liant naturel.
Ce processus va permettre à l’ONG de se pencher sur une matière première abondante autour de la ville d’Affery : les cabosses de cacao.
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Le biocharbon d’Affery est produit de façon artisanale grâce à des installations totalement conçu par l’ONG.
Le processus de carbonisation des cabosses vides de cacao est réalisé grâce un réacteur de pyrolyse.
Les cabosses de cacao vides sont enfournées pendant 8 heures sous pression pour une combustion partielle.
Le composant obtenu à la sortie du four est une matière carbonisée qui passe au compostage.
« Après le compostage, la matière carbonisée est consolidée grâce à un liant naturel (amidon de manioc filtré) puis séché au soleil », indique Coné Gaoussou.
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Au-delà du cacao, l’APFNP utilise d’autres résidus agricoles pour produire le biocharbon notamment le maïs et le riz.
Pour produire 40 kg de matière carbonisée, il faut 118 kg de cabosses vides de cacao séchées.
Avec le riz, il faut 205 kg de balles pour produire 75 kg de matière carbonisée et 205 kg de coques de café pour 50 kg de matière carbonisée.
« La Côte d’Ivoire produit 1.300.000 tonnes de cacao produit par an, 100.000 tonnes de café, 900.000 tonnes de maïs…la grande partie des déchets agricoles de premier niveau sont rejetés dans la nature créant une nouvelle source de pollution. Le biocharbon pourrait aider à la absorber », explique Mme Kobon.
Au-delà de la lutte contre la pollution, le biocharbon peut être un moyen efficace de lutte contre la déforestation.
Chaque ménage ivoirien consomme en moyenne 4 Kg de bois ou 2 Kg de charbons de bois par jour soit l’équivalent de 5 Kg de bois frais ; ce qui implique chaque jour de nouveaux abattages.
L’Association des propriétaires de forêts naturelles et plantations d’Affery produit pour l’instant deux tonnes de biocharbon par an pour un marché urbain.
« La majorité de nos acheteurs viennent d’Abidjan et notre objectif de l’ONG est de porter la production annuelle de six tonnes à travers un renforcement de nos capacités techniques de production « , confie M. Coné.
La production de biocharbon à base de cabosses de cacao ou de résidus agricoles est un moyen de lutter contre la déforestation en Côte d’Ivoire.
En moins de quarante ans, la forêt ivoirienne a considérablement diminué passant de plus de 16 millions d’hectares en 1963, à quelque 1,9 millions aujourd’hui. La culture du cacao exerce en particulier une grande pression sur le couvert forestier.
Plusieurs rapports produits par des ONG de défense de l’environnement soulignent que la culture du cacao pour répondre aux besoins du marché international entraine une forte déforestation.
Dans son rapport publié le 7 décembre 2018, l’ONG Mighty Earth estime qu’en Côte d’Ivoire et au Ghana – deux premiers producteurs mondiaux de cacao – la forêt a reculé face aux plans de cacao.
« La déforestation en 2018 s’élève à ce jour à 13.748 ha, soit la surface de 15.000 terrains de football. Ce chiffre est légèrement inférieur aux 21.000 terrains de football enregistrés pour 2017 et supérieur aux 13.000 terrains de football de forêt perdus en 2016 » précise le rapport.