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La peur et la méfiance plus dangereuses qu’Ebola

La désinformation, la peur et l’insécurité ne facilitent toujours pas la lutte contre Ebola.

Il n’y a pas de plus grands défis que de s’attaquer à une épidémie mortelle.

Mais imaginez que vous essayez de le faire dans une zone de conflit ravagée par l’extrême pauvreté, l’insécurité et le manque de communication au sein d’une population où les agents de santé sont craints ?

Pourtant, c’est la réalité d’Ebola dans l’est de la République démocratique du Congo, où plus de 1.500 personnes ont perdu la vie à cause du virus au cours de la dernière année.

Dans la ville de Butembo, dans la province du Nord-Kivu, je vois comment le personnel médical local et international et les organisations caritatives essaient de combattre la maladie.

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Essentiellement, il s’agit d’un jeu macabre de chasse à la taupe qui semble presque impossible à gagner. Les choses se passent ainsi :

Un matin comme les autres ou presque, j’ai appris qu’une femme était morte d’Ebola. Le personnel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), s’est précipité sur les lieux et a mis sur pied un centre de vaccination à impact rapide.

En pratique, cela signifie quelques tables sur chevalets sous un certain nombre de tentes avec des équipes vaccinales.

Ensuite, les membres de la famille de la femme décédée, ses amis, ses voisins sont identifiés. Il leur a donc été demandé de se faire vacciner.

Par la suite, leur groupe de contact élargi est également vacciné dans l’espoir que ce double anneau de protection arrêtera le virus dans sa course.

Copyright de l’image BSIP/Getty Images

Image caption Le virus Ebola

Ces centres de vaccination sont financés en partie par le gouvernement britannique. Le ministre britannique du Développement international, Rory Stewart, était là pour voir par lui-même l’impact de l’aide apportée par son ministère.

De nombreux décès dus au virus Ebola ne sont jamais signalés. Des décennies de conflit ont conduit à une méfiance généralisée à l’égard des autorités, ce qui a un impact sur la propagation de la maladie, selon les auteurs d’un rapport récent.

Certains nient l’existence de la maladie, croyant qu’il s’agit d’un simple outil de propagande inventé par la communauté internationale pour le trafic d’être humain.

D’autres ne font pas confiance au personnel médical formé pour soigner les malades.

Ensuite, il y a ceux qui ne veulent tout simplement pas que leurs proches leur soient enlevés, enfermés dans un sac mortuaire en plastique et enterrés anonymement par quelqu’un d’autre.

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Ebola: l’Ouganda redouble de vigilance

C’est important, car le cadavre d’une victime d’Ebola est le plus contagieux au moment de la mort. Ainsi, si les familles sont occupées à nettoyer le corps dans le cadre des rites funéraires habituels, elles accentuent les risques de contagion et se condamnent presqu’à une mort certaine.

Même si un décès est signalé, cela ne résout pas tout. Tout le monde n’est pas d’accord pour se faire vacciner ou pour fournir des informations sur leurs cercles de contact plus larges.

Le personnel médical ne peut pas faire grand-chose pour les forcer à donner leurs noms et adresses.

Certaines personnes, même si elles sont vaccinées, contractent encore la maladie. Il semble inévitable qu’il n’y ait jamais assez d’équipes d’intervention rapide pour faire face au nombre de décès par Ebola.

Les vaccinations ont sans aucun doute eu un impact. Après plus de 11.000 décès lors de l’épidémie qui a frappé la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone au début de cette décennie, il y a eu jusqu’ici moins de décès en République démocratique du Congo.

Mais malgré toutes les leçons apprises et l’énorme quantité de ressources investies dans cette épidémie, elle continue de s’étendre.

Contenir le virus

Butembo est un centre commercial avec une « population très mobile », selon l’OMS, qui vient d’ailleurs en République démocratique du Congo ainsi que de ses voisins que sont le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya.

On craint que le virus ne se propage vers le sud jusqu’à Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu et une importante plaque tournante de transport pour le pays et la région. Si cela se produisait, l’épidémie pourrait prendre une nouvelle dimension. Ainsi, le personnel médical arrive parfois trop tard et le virus s’est propagé.

Plus d’un million de personnes vivent dans la zone urbanisée dense de Goma sur les rives du lac Kivu. Ce qui signifie que la maladie se propagerait rapidement et serait presque impossible à contrôler.

Je visite la frontière avec le Rwanda, où des dizaines de milliers de personnes traversent chaque jour.

Tous ceux qui passent par-là doivent se laver les mains à l’eau chlorée, se faire prendre la température et répondre aux questions sur l’endroit où ils sont allés et leur contact avec les sites Ebola.

Il y a des refrains humanitaires et des annonces sur la façon de prévenir la propagation de l’infection.

Jusqu’à présent, Ebola n’a franchi qu’une seule frontière – celle de l’Ouganda – mais, heureusement, la maladie ne s’est pas propagée.

Par contre, si la maladie touchait le Rwanda, les conséquences seraient importantes.

Image caption Rory Stewart (à droite), secrétaire d’État britannique au Développement international voyageant en RDC
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Nouvel essai clinique contre Ebola à Beni

Outre les conséquences médicales potentielles, il y aurait un impact économique.

Si la frontière devait fermer, des milliers de petits commerçants perdraient leurs moyens de subsistance, ce qui aggraverait la pauvreté actuelle.

Si la frontière en cas d’urgence sanitaire n’est pas ouverte, il pourrait y avoir d’énormes mouvements de population à travers la région. Arrêter la propagation de la maladie avant Goma est une priorité.

Avec M. Stewart, j’ai visité une clinique de traitement d’Ebola à l’hôpital de Goma qui est partiellement financée par le gouvernement britannique. Il y a aussi une autre clinique en construction de l’autre côté de la ville.

Mais le ministre croit clairement que les niveaux de préparation doivent être renforcés et il exhorte des pays comme la France, l’Allemagne et le Canada à fournir les ressources dont ils ont grand besoin.

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Image caption Des membres de la famille déposent des feuilles sur la tombe d’un parent décédé d’Ebola à Butembo.

Il souhaite également que l’Organisation mondiale de la santé déclare officiellement qu’il s’agit d’une urgence sanitaire mondiale – une définition technique – qui faciliterait la collecte de fonds à l’échelle internationale.

Des sommes secrètes

À l’heure actuelle, les principaux donateurs sont les États-Unis et le Royaume-Uni. Le montant de leurs dons est en grande partie gardé secret parce qu’on craint qu’en parlant de millions de dollars, on n’augmente le nombre d’attaques contre les agents de santé.

Telle est leur méfiance à l’égard d’un monde qui a largement ignoré leur pays pendant des décennies de guerre civile et certains Congolais croient que la communauté internationale utilise Ebola pour faire de l’argent.

Ils espèrent que certains des agents de santé et du personnel d’aide auront eux-mêmes une partie de cet argent.

La question fondamentale qui se pose maintenant au monde extérieur est de savoir quelles leçons tirer de cette épidémie. Car peu de gens croient qu’Ebola sera complètement vaincu.

Nombreux sont ceux qui pensent qu’à l’avenir, les virus de ce type devront être gérés plutôt qu’éradiqués.

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Orphelines d’Ebola et prostituées
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