Le village de Curdi, situé dans l’ouest de ce pays d’Asie du Sud, a été englouti par les eaux en 1986. Mais en un mois, les eaux avaient reflué, laissant sur leur passage les vestiges du village.
Chaque année, lorsque les eaux refluent, les anciens habitants du village, recasés ailleurs, y reviennent comme pour se souvenir de leurs maisons abandonnées, rapporte Supriya Vohra.
Le village de Curdi était niché entre deux collines des Ghâts occidentaux. Il était traversé par la rivière Salaulim, un affluent de l’une des principales rivières de Goa. C’était un village prospère.
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En 1986, le village, tel que ses habitants l’avaient connu, a cessé d’exister. Le premier barrage de l’État a été construit et, par voie de conséquence, Curdi a été entièrement englouti.
Mais chaque année, en mai, les eaux refluent pour dévoiler les vestiges du village.
De la terre fissurée, des souches d’arbres, des décombres de maisons et d’édifices religieux, des débris d’articles ménagers, des canaux en ruines et des kilomètres de terres arides…
La terre était autrefois fertile, et une grande partie des villageois, environ 3 000 habitants, vivaient de son exploitation. Ils cultivaient des rizières entourées de cocotiers, de noix de cajou, de manguiers et de jacquiers.
Hindous, musulmans et chrétiens vivaient ensemble. Il y avait un temple principal, et d’autres temples plus petits, une chapelle et un sanctuaire musulman. Curdi est aussi le lieu de naissance du célèbre chanteur Mogubai Kurdikar.
Un projet ambitieux
Mais les choses ont radicalement changé après la libération de Goa par les Portugais en 1961. C’est à cette époque que le ministre Dayanand Bandodkar, venu visiter le village, y annonce la construction d’un barrage aux frais de l’État. Il réunit tous les villageois et leur annonce que l’initiative allait profiter à toute la communauté.
« Il a dit que notre village allait être noyé, tout en assurant que cela allait profiter à tout le monde », se souvient Gajananan Kurdikar, 75 ans. Il garde encore des souvenirs très vivaces de la réunion des villageois avec le ministre.
M. Kurdikar et d’autres résidents, aux côtés de 600 familles, ont été obligés de s’installer dans des villages voisins. Mais des terres leur ont été données en guise de compensation.
Le projet était ambitieux. Construit sur les rives de la rivière Salaulim, il s’appelait le Projet d’irrigation Salaulim. Ses promoteurs avaient promis de fournir de l’eau potable, de l’eau pour l’irrigation des terres et de l’eau à usage industriel aux habitants du sud de Goa. Quelque 400 millions de litres d’eau devraient être fournis par jour aux villageois.
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« Quand nous sommes arrivés dans le nouveau village, nous n’avions absolument rien », se souvient Inacio Rodrigues. Il faisait partie de l’une des premières familles à s’installer à Curdi en 1982. Ils devaient rester dans des maisons de fortune jusqu’à ce qu’ils puissent construire leur propre maison. Pour certains, cela a duré presque cinq ans.
Gurucharan Kurdikar avait 10 ans lorsque sa famille a déménagé dans un nouveau village en 1986.
« Je me souviens vaguement de mes parents qui se dépêchaient de tout mettre dans une camionnette. J’étais aussi dans le camion, avec mon frère et ma grand-mère. Mes parents, à bord de leur moto, nous ont suivis », se souvient l’homme de 42 ans.
Sa mère, Mamta Kurdikar, se souvient plus clairement de cette journée. « Je pense que nous étions les dernières familles qui restaient. Il avait beaucoup plu la veille, et l’eau des champs avait commencé à pénétrer notre maison. Nous avons dû partir immédiatement. Je ne pouvais même pas emporter mon moulin à farine », se rappelle la vieille dame.
Mais l’eau du barrage n’a jamais atteint les villages où les anciens habitants de Curdi se sont déplacés.
« Tous les villages de Goa ne bénéficient pas du système d’adduction comme cela leur avait été promis. Donc notre eau potable ne provient pas du barrage », signale Gajananan Kurdikar.
A Vaddem, où M. Kurdikar vit actuellement, il y a deux grands puits. Mais en avril et mai, les puits commencent à se tarir. Les villageois dépendent des camions-citernes envoyés par le gouvernement, pour s’approvisionner en eau potable.
Lorsque les eaux refluent en mai, les premiers habitants de Curdi viennent visiter leur village perdu.
La communauté chrétienne se réunit pour une fête annuelle, dans sa chapelle. Et les hindous organisent une fête au temple, durant ce mois.
« Aujourd’hui, il nous est très facile de faire nos valises et de nous déplacer. Mais pour les habitants de Curdi, leur identité était basée sur leur terre, à laquelle ils étaient étroitement et directement liés. C’est peut-être pour ça qu’ils s’en souviennent très bien et qu’ils y reviennent sans cesse », explique Venisha Fernandes, une sociologue basée à Goa.
Supriya Vohra est une journaliste indépendante basée à Goa.