Cuba, Sénégal, Côte d’Ivoire, Russie… Un peu partout dans le monde, les étudiants congolais se mobilisent pour obtenir le versement du quatrième trimestre de leur bourse au titre de 2016.
Comment l’Etat congolais en est-il arrivé à ce retard de paiement ?
« Les bourses sont budgétisées et mandatées par l’Etat, mais le gouvernement fait face à un manque de liquidités et doit établir des priorités. Comme dans les autres secteurs, par exemple avec les retraités, les retards sont dus aux effets de la crise », explique Anicet Loupoupou, diplomate, chef du service pédagogique chargé des étudiants congolais en Russie.
L’Etat pétrolier a du mal à se remettre de la chûte des cours du baril qui l’a frappée de plein fouet en 2014. Les prix de l’or noir peinent à se stabiliser depuis.
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Suite aux manifestations à Cuba, largement relayées dans les médias, l’Etat congolais a réglé aux étudiants de l’île une année de bourses, mais en Afrique et en Russie, la galère se poursuit.
« C’est un train qui va passer dans toutes les gares. Comme à Cuba, l’Etat va verser la bourse de 2017, mais on ne peut pas éponger d’un coup 4 ans d’arriérés », affirme le diplomate.
Il a été difficile de trouver des étudiants qui acceptent de témoigner de leur vécu. Ils nous expliquaient qu’ils avaient peur de représailles sur eux-mêmes ou leur famille.
Mais certains ont accepté de nous dire comment ils vivent cette situation.
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« Les étudiants vivent au jour le jour. Certains en arrivent à emprunter de l’argent à des bailleurs de fonds, donnent leurs passeports ou leurs ordinateurs contre un peu d’argent. On nous a payés récemment le quatrième trimestre 2014, mais avec les dettes, nous nous retrouvons encore avec rien », se plaint l’un d’entre eux, étudiant à Dakar. Nous l’appellerons Pierre, afin de préserver son anonymat.
Le Congo a deux types d’étudiants boursiers.
Ceux de la première catégorie dépendent de la Direction de l’orientation, des bourses et aides scolaires (Dobas). Leur prise en charge s’effectue au Congo. Ce sont les étudiants de l’enseignement technique. L’Etat prend en charge leurs billets d’avion et leurs frais de scolarité, ainsi qu’une allocation trimestrielle, le reste (le visa, l’assurance maladie, le foyer, les déplacements à l’université, l’alimentation et l’habillement) étant à la charge de l’étudiant et de sa famille. Ces boursiers sont dits boursiers de la coopération.
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Les boursiers de la seconde catégorie demandent une prise en charge une fois qu’ils arrivent dans leur pays d’accueil par leurs propres moyens. Ils perçoivent uniquement l’allocation trimestrielle.
L’allocation trimestrielle s’élève à 240 000 francs CFA pour les boursiers de la Dobas. Pour les autres, les montants trimestriels vont de 270 000 francs CFA pour les étudiants en licence à plus de 300 000 francs CFA pour les doctorants.
Afin de subvenir à leurs besoins à Dakar, beaucoup d’étudiants travaillent dans les centres d’appel. C’est l’un des rares emplois accessibles pour les titulaires du baccalauréat, une activité difficile à conjuguer avec la poursuite des études : longs horaires parfois décalés, objectifs de productivité élevés, pression, parfois insultes des prospects contactés au téléphone, etc.
« C’est un travail dur, qui demande vraiment du repos. Il faut pouvoir se détendre après ce travail stressant et difficile. Les étudiants sont bien souvent confrontés à un dilemme : soit ils lâchent leur boulot, soit ils lâchent l’école », explique Pierre.
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« Pour les jeunes femmes, certaines se retrouvent acculées à devenir deuxième ou troisième femme d’hommes d’affaires sénégalais qui peuvent subvenir à leurs besoins. Ou bien elles sont serveuses dans les bars où elles subissent les injures de clients un peu douteux ou d’autres personne », souligne Pierre.
Galères russes
En Russie, les étudiants peuvent percevoir une aide sociale de 1.600 roubles (un peu moins de 15.000 francs CFA) par mois venant du gouvernement russe, une somme qui ne couvre ni les frais de transport, ni ceux de logement.
« A Moscou, il faut au minimum 100 roubles (900 francs CFA) pour se déplacer du foyer à l’université. Ce qui revient à une somme minimale de 3.000 roubles (27.000 francs CFA) par mois. Il faut noter que la majorité des universités ont des facultés dispersées à travers la ville. Il nous faut donc parfois emprunter 3 à 4 moyens de transport en commun chaque jour afin de se rendre à tous les cours. Nous n’avons pas droit à la cantine universitaire, car tout est payant. Le foyer va de 1.000 roubles (9 000 francs CFA) à 3.500 roubles (32.000 francs CFA) par mois, et là encore ça dépend des villes et des universités », détaille Jean. (*le prénom a été changé)
Il est difficile de travailler pour joindre les deux bouts:
« Le travail ici, pour nous, ce n’est pas permis, car nous avons un programme d’études à temps plein. A part ceux qui peuvent avoir la chance de travailler à l’université, ce qui est très très rare, ou ceux qui travaillent de façon clandestine (avec le risque d’être expulsé immédiatement en cas de saisie par la police ou les services d’immigration) ou encore des travaux d’ouvriers (porteur de sacs de ciment, de sacs de riz, etc.) tard la nuit, entre 22 h et 5 h », relate Jean.
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Jean affirme que certains étudiants ne vont plus ou presque plus à l’université, car il n’ont plus d’argent pour se nourrir ou payer le transport. D’autres ne peuvent pas se soigner.
« À ce jour, nous nous sommes fortement endettés, et nous avons largement dépassé les délais prévus pour rembourser. Les étudiants qui s’en sortent un peu sont ceux qui vivent en Russie depuis plus de 5 ans et qui sont parfois mariés avec des Russes. D’autres se mettent à travailler clandestinement afin de trouver un peu d’argent pour le « ngounda » (immigration illégale vers l’Europe de l’Est) », ajoute-t-il.
Des diplômes pris en otage
Au Sénégal, l’Etat congolais est en retard dans le paiement des frais de scolarité dus aux écoles des boursiers de l’enseignement technique depuis deux ans. Si les établissements ont permis aux étudiants de terminer sans encombre leurs cycles scolaires, certains ont décidé de ne pas délivrer aux étudiants les attestations de réussite, diplômes et bulletins de note, afin d’exercer une pression auprès de l’Etat congolais pour recouvrer leur dette.
« Au Sénégal, il y a de l’emploi, mais pour travailler dans ton domaine, il faut des justificatifs : des attestations ou des bulletins de note. Beaucoup d’étudiants sont rentrés au pays, d’autres restent ici, mais ils sont condamnés au chômage. Ils se retrouvent à ne rien faire », explique Pierre.
Certains étudiants se retrouvent ainsi sans diplôme depuis 3 voire 4 ans, bien qu’ayant fini leur cycle. Ils sont donc dans l’impossibilité de postuler pour des emplois qui correspondent à leur formation ou de continuer leurs études dans d’autres pays.
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« Nous avons conscience que les enfants souffrent », affirme Pascal Makoka, chargé des affaires pédagogiques pour l’Afrique de l’Ouest.
Le diplomate effectue actuellement une tournée dans la sous-région (Dakar, Abidjan, Lomé, Cotonou) afin de faire un état des lieux des sommes dues par le gouvernement congolais aux écoles.
Selon lui, cette tournée annonce une mission au Congo en juillet, afin de travailler avec le ministère de l’Enseignement technique et le ministère de l’Enseignement supérieur dans le but d’inscrire la dette scolaire au prochain budget et payer les arriérés.
Tel n’est pas le cas en Russie, selon Anicet Loupoupou, car les frais de scolarité des étudiants boursiers de la coopération dans ce pays sont pris en charge par le budget fédéral de la Russie.
Nombreux sont également les étudiants qui se retrouvent sans papier. Les ambassades du Congo dans le monde ne délivrent pas de passeports. Pour obtenir le document de voyage, un retour au pays s’impose, un déplacement que ne peuvent s’offrir bien des boursiers.
« Si l’Etat pouvait même ne pas verser notre bourse, mais aller payer les écoles afin que l’on nous octroie nos diplômes et nos bulletins ! Cela va nous satisfaire, car nous serons alors en mesure de faire beaucoup de choses après et de gagner bien plus que ces 240.000 francs CFA par trimestre », affirme Pierre.
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