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 »Pas de sexe sans combat » – s’attaquer au machisme en RDC

Moises Bagwiza et sa femme Jullienne Bagwiza. Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC
Image caption Moises Bagwiza et sa femme Julienne Bagwiza

La République démocratique du Congo affiche l’un des taux de violence sexuelle les plus élevés au monde. Mais une nouvelle approche tente d’y faire face en encourageant les hommes à remettre en question leur machisme.

Moises Bagwiza fait partie de ces hommes qui ont des regrets sur leur passé. Il repense à la manière dont il a traité sa femme, Julienne, comment il l’a violée. Son témoignage est franc et poignant.

« Coucher avec elle, c’était comme une bagarre. Je me fichais de ce qu’elle portait – j’arrachais simplement tout », se souvient-il.

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Dans un modeste bungalow situé dans un village tranquille de Rutshuru, dans l’est de la République démocratique du Congo, Moises Bagwiza nous raconte comment il a agressé sa femme, lorsqu’elle était enceinte de quatre mois.

« Je me suis retourné et je lui ai donné un petit coup de pied sur le ventre », se souvient-il, expliquant qu’elle était tombée par terre en saignant. Des voisins inquiets se sont précipités pour l’emmener à l’hôpital.

Son crime ? Elle avait secrètement mis de l’argent de côté pour les dépenses du foyer, à l’aide d’un collectif local de femmes.

Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC

Image caption Julienne Bagwiza

Avant l’agression, elle avait refusé de lui donner de l’argent pour l’achat d’une paire de chaussures.

« C’est vrai, l’argent était à elle », admet l’époux repenti. « Mais comme vous le savez, de nos jours, quand les femmes ont de l’argent, elles se sentent puissantes et elles le montrent », croit-il.

Les mythes traditionnels de la virilité

Ce ressentiment est au cœur de ce que certains appellent une  »crise de la masculinité africaine ».

Depuis des siècles, les hommes ont été élevés avec des idées préconçues de ce que signifie être un homme : la force, le stoïcisme émotionnel, être capable de protéger et de subvenir aux besoins de sa famille.

Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC

Image caption Moises Bagwiza

Mais l’évolution du rôle des hommes et des femmes, notamment une plus grande autonomisation des femmes, combinée à la persistance du fort taux de chômage chez les hommes, entrave la capacité de ces derniers à se conformer à ces mythes traditionnels de la virilité.

C’est pourquoi, certains hommes comme Moises Bagwiza pensent qu’une femme financièrement indépendante représente une réelle menace pour leur virilité.

L’ouvrier en bâtimentestimait que  »la violence était le seul moyen de communiquer avec [sa] femme ».

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« Je pensais qu’elle m’appartenait, raconte-t-il. Je pensais pouvoir lui faire tout ce que je voulais. Quand je rentrais à la maison et qu’elle me demandait quelque chose, je la frappais. »

Compenser l' »échec » masculin

Le cas de Moises Bagwiza est loin d’être unique. La RDC possède l’un des taux de viols les plus élevés au monde, avec près de 48 femmes violées toutes les heures, selon une étude de  »l’American Journal of Public Health ».

Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC

Image caption Ilot Alphonse

De nombreuses analyses d’experts relient cette crise du viol à un conflit de longue date qui fait rage dans l’est du pays. C’est là-bas que des milices rivales ont souvent utilisé le viol collectif et l’esclavage sexuel comme armes de guerre.

Mais les causes du viol en RDC sont beaucoup plus profondes, selon Ilot Alphonse, co-fondateur de l’ONG Congo Men’s Network (Comen), basée à Goma, dans l’est du pays.

RDC : Quand les hommes se font violer

« Lorsque nous parlons de violence sexuelle seulement dans le contexte d’un conflit armé, nous sommes un peu perdus », avoue-t-il.

« Nous avons hérité de cette façon de traiter les filles comme nos sujets. Les hommes savent qu’ils ont le droit d’avoir tout le temps des relations sexuelles. La cause de la violence sexuelle est liée au pouvoir et à la position que les Congolais ont toujours voulu conserver », ajoute Ilot Alphonse.

Impliquer les femmes dans les discussions

Danielle Hoffmeester, chargée de projet à l’Institute for Justice and Reconciliation (IJR), en Afrique du Sud, estime que la violence sexiste est directement liée à la manière dont les hommes sont formés socialement et à leur incapacité à respecter les règles strictes de la masculinité africaine traditionnelle.

 »L’incapacité des hommes à subvenir aux besoins de leur famille a conduit nombre d’entre eux à compenser cette défaillance de la virilité par des moyens souvent (…) violents », explique-t-elle.

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Image caption Danielle Hoffmeester estime que la violence sexiste est directement liée à l’incapacité des hommes à respecter les règles strictes de la masculinité africaine traditionnelle.

Ilot Alphonse confie qu’il a été à la fois auteur et victime de violences.

« A l’école, on nous battait. A la maison, on nous battait. Et au village, on organisait des séances de combat », se rappelle-t-il.

Le fondateur de l’ONG Congo Men’s Network raconte qu’il a intériorisé cette violence, qui est devenue par la suite un moyen de communication pour lui.

« Parfois, je battais ma copine, et c’était à elle de s’excuser. Je me souviens qu’un jour, alors qu’on était encore enfants, je me suis disputé avec ma sœur et j’ai jeté un couteau sur elle. »

Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC

Image caption Les ateliers sont supervisés par des animateurs qui utilisent des films, des livres illustrés et des séances de psychodrame pour « rebrancher le cerveau » des auteurs de violence sexuelle.

Les mouvements anti-viol qui ont cherché à combattre la violence sexuelle dans les régions touchées en Afrique se sont toujours concentrés sur les femmes, la majorité des victimes de viol. Sans prendre en compte les hommes, qui constituent les principaux auteurs de violences.

Pourtant, selon Ilot Alphonse, ces mouvements anti-viol s’attaquent aux symptômes plutôt qu’aux racines profondes de la violence sexuelle.

« Nous luttons contre la violence fondée sur le genre, explique-t-il. « Nous devons impliquer les hommes et les garçons qui font partie du problème, afin qu’ils aient un espace pour changer les choses en raison de l’influence qu’ils ont dans la communauté. »

Et c’est exactement ce que lui et ses collègues font.

Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC

Image caption Chaque semaine, une vingtaine d’hommes se réunissent à la Baraza pendant deux heures pour apprendre la masculinité positive, l’égalité des sexes et la paternité.

Ils ont créé la  »Baraza Badilika » – une vision contemporaine d’anciens lieux de rencontre qui étaient dédiés aux hommes pour résoudre des problèmes communautaires urgents et initier les garçons à la virilité.

Les conflits successifs n’ont pas épargné les villages, ni les vies et ces espaces ont été pratiquement anéantis, ce qui a conduit à un manque de modèles masculins pour les jeunes hommes, précise Ilot Alphonse.

Alors que les  »Baraza Badilika » traditionnelles (littéralement le Cercle du changement) n’était fréquentés que par des hommes, c’est désormais une opportunité pour les femmes de se saisir du leadership.

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« Il est vraiment temps pour les femmes d’envahir ces espaces », affirme le créateur de Comen.

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Chaque semaine, une vingtaine d’hommes se réunissent à la Baraza pendant deux heures pour apprendre la masculinité positive, l’égalité des sexes et la paternité.

Copyright de l’image FIONA LLOYD-DAVIES/BBC

Image caption Un animateur de COMEN (au centre)

Les ateliers sont supervisés par un animateur et une animatrice qui utilisent des films, des livres illustrés et des séances de psychodrame pour « rebrancher le cerveau » des auteurs de violence sexuelle.

Ilot Alphonse raconte que la majorité des femmes lui confient que leur mari a changé d’attitude après avoir assisté aux ateliers.

Les femmes disent qu’elles sont allés voir l’imam, les pasteurs ou les chefs traditionnels, qui ne parviennent pas à les dissuader d’être violents. Certains hommes ont été arrêtés plusieurs fois pour violence sexuelle, sans toutefois s’amender. « Du jour au lendemain, je l’ai vu devenir non-violent et rentrer à la maison à l’heure », témoignent plusieurs femmes.

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Moises Bagwiza a lui aussi fait beaucoup de chemin depuis qu’il battait sa femme enceinte.

« Bien sûr, rien n’est encore acquis à 100% – nous ne sommes que des humains après tout -, mais beaucoup de choses se sont vraiment améliorées. Nous avons maintenant de vraies conversations et nos relations sexuelles se sont grandement améliorées », affirme Moises Bagwiza.

Ilot Alphonse est déterminé à enrôler « chaque homme » en RDC et à lui faire adopter sa philosophie de masculinité positive.

« Nous rêvons de voir la fin de toutes formes de violence dans ce pays, pour que cela soit enfin plus vivable pour les hommes, les femmes, les garçons et les filles », espère-t-il.

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