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Meurtre de Caruana Galizia – « Je me bats pour que justice soit faite pour ma mère assassinée »

Daphne Caruana Galizia, 2011 file pic Copyright de l’image Reuters
Image caption Daphne Caruana Galizia a publié des reportages cinglants, dévoilant la corruption des fonctionnaires.

Une fois tous les deux ou trois mois, je dois m’asseoir dans une pièce avec le policier qui enquête sur le meurtre de ma mère. Notre famille l’a rencontré pour la première fois il y a six ans, quand il est venu chez nous pour l’arrêter.

Ma mère avait publié un article satirique sur un candidat au poste de Premier ministre, le jour du scrutin, et un de ses partisans avait déposé une plainte à la police.

Le détective a donc été envoyé chez nous, au milieu de la nuit, avec un mandat d’arrêt signé pour l’arrêter pour le crime de ce que l’on ne peut que qualifier d’expression illégale.

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Je travaillais à l’autre bout du monde, et les gens m’envoyaient des vidéos d’elle en train de sortir du poste de police à 13 h 30, portant la chemise de mon père.

Quelques heures plus tard, elle était de nouveau en ligne et écrivait sur son site web au sujet de cet abus, se moquant du manque de confiance en lui du nouveau Premier ministre et de sa propre apparence.

« Je m’excuse d’être dans un désarroi total, mais quand l’escadron chargé des homicides se présente chez vous pour vous arrêter la nuit… se brosser les cheveux, sortir la poudre et le blush, et trier quelques vêtements sont les dernières choses qui vous viennent à l’esprit », écrit-elle.

Maintenant, le même détective qui a arrêté ma mère cette nuit-là se retrouve en charge de l’enquête sur son meurtre.

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Image caption Matthieu, enfant, avec sa mère, Daphne

Le jour où elle a été tuée, ma mère, Daphne Caruana Galizia, s’est rendue à la banque pour reprendre le contrôle de son compte, qui avait été gelé à la demande d’un ministre.

Elle venait d’avoir 53 ans et était au sommet de sa carrière de journaliste depuis 30 ans.

Un demi-kilo de TNT emballé dans un dispositif sous son siège d’auto a été détoné à distance.

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Les partisans du gouvernement ont célébré ouvertement l’assassinat, en me rappelant ceux qui ont célébré l’assassinat du rédacteur en chef du journal turco-arménien Hrant Dink.

D’autres insinuaient que j’avais moi-même planifié le meurtre ou que ma mère avait risqué volontairement – la même calomnie qui a été répétée à propos de James Foley, le correspondant américain qui a été enlevé et décapité en Syrie.

Le meurtre de Daphne Caruana Galizia

  • Octobre 2017 : la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia est tuée dans un attentat à la voiture piégée
  • Le Premier ministre Joseph Muscat qualifie le meurtre de « barbare ». La famille en deuil empêche les dirigeants de Malte d’assister à ses funérailles
  • Décembre 2017 : trois hommes sont arrêtés, et les procureurs enquêtent sur la possibilité que des tueurs à gages aient été utilisés
  • Juillet 2018 : une enquête ouverte par le gouvernement maltais et dirigée par un magistrat innocente le Premier ministre et son épouse des accusations de corruption portées par Daphne Caruana Galizia
  • Août 2018 : la famille de Daphne Caruana Galizia demande une enquête publique complète, pour voir si Malte aurait pu empêcher sa mort.

Pourquoi ces meurtres sont-ils si importants ?

« La libre circulation des faits et des opinions, le fonds de commerce des journalistes, crée des sociétés plus justes et plus libres », a déclaré mon frère lors d’un rassemblement de diplomates européens, alors que nous étions encore sous le choc de la perte de notre mère.

« Elle crée des sociétés plus riches et plus résilientes, c’est-à-dire des sociétés où il vaut la peine de vivre », a-t-il soutenu.

Après le meurtre de notre mère, notre seule lumière a été l’effusion de soutien, de remords, de tristesse et de regrets venant de toutes sortes de gens.

Cela m’a surpris et m’a rappelé quelque chose qu’un ami m’a dit un jour : « Les bonnes personnes sont partout, il faut les trouver. »

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Le désir de vivre dans une société libre et ouverte, où la loi est la même pour tous et où les droits humains sont respectés, est universel. Mais comme pour la plupart des désirs, il y a des hauts et des bas.

Il est souvent trop tard lorsque nous nous rendons compte que quelques mauvaises personnes qui, comme la maladie humaine, seront toujours avec nous, ont pris la relève.

La tâche que mes frères, mon père et moi nous sommes fixés depuis l’assassinat de notre mère est énorme : justice pour son assassinat, justice pour ses enquêtes et veiller à ce que cela ne se reproduise plus.

Nous avons maintenant peu de temps pour autre chose.

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Image caption Matthieu (à gauche) et son frère Paul font campagne pour la justice au nom de leur mère.

Au sein de ma famille, nous nous parlons parfois du peu de patience que nous avons face à l’inaction et à l’indifférence des autres, surtout ceux qui occupent des postes d’autorité.

Il nous est difficile de ne pas attaquer leur cynisme et leur paresse.

Les enfants du journaliste d’investigation turc Ugur Mumcu m’ont raconté qu’après le meurtre de leur père à l’aide d’une voiture piégée, le chef de la police s’est excusé de l’absence d’enquête en disant : « On ne peut rien faire, il y a un mur de briques devant nous. »

La réponse de leur mère à cette question a été : « Enlevez une brique, puis une autre, jusqu’à ce que vous enleviez tout le mur. »

C’est ce que nous faisons depuis que notre mère a été assassinée.

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Mon principe directeur au début était de faire de notre mieux, quoi qu’il arrive. Je pense maintenant que le processus est presque aussi important que nos objectifs.

Nous forçons le changement culturel et générons plus de respect pour la liberté d’expression, par le simple fait de faire en sorte que l’État fasse son devoir et rende justice.

Nous nous sommes joints à d’autres qui éradiquent la maladie de la « non-liberté » et enseignent au monde un nouveau respect des droits de l’homme.

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Image caption Une manifestation demandant justice après l’assassinat de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia

« La liberté commence par la liberté de conscience. Sans cette liberté fondamentale de l’esprit, que feriez-vous des autres libertés ? » nous a dit l’écrivain Yameen Rasheed, cinq jours avant d’être poignardé à mort devant son domicile aux Maldives en 2017.

Comme celui de ma mère, son assassinat a montré que ces libertés n’étaient pas respectées dans nos pays.

Ce n’est pas seulement à nous, les laissés-pour-compte, de mener ce combat pour la liberté. Il est mené par les membres de la famille, les petites amies, les petits amis et les amis des journalistes assassinés ou emprisonnés.

Cette grande responsabilité nous a été confiée, mais nous ne pouvons l’assumer seuls. Nous avons besoin de gens bien, partout, pour nous rejoindre.

World Press Freedom Day

  • La Journée mondiale de la liberté de la presse a été instituée par l’ONU en 1993 et est célébrée le 3 mai de chaque année.
  • Le thème pour 2019 est : « Le journalisme et les élections en période de désinformation ».
  • L’objectif de la Journée mondiale de la liberté de la presse est de célébrer, défendre et évaluer l’état de la liberté de la presse dans le monde et de rendre hommage aux journalistes morts dans l’exercice de leurs fonctions.
  • L’an dernier, 95 journalistes et professionnels des médias sont morts dans des assassinats ciblés, des attentats ou des tirs croisés, selon la Fédération internationale des journalistes.

Je sais que nous sommes plus nombreux. Rappelez-vous que le chroniqueur saoudien Jamal Khashoggi était aimé de tous.

Il n’y avait qu’une seule personne qui le détestait assez pour faire tuer ce journaliste.

Dans tous ces meurtres, y compris celui de ma mère, il n’y a que peu ou pas de signes que l’État fasse un effort significatif pour condamner les personnes qui en sont responsables.

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Image caption Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été tué en octobre 2018.

Nous avons donc commencé par enlever la première brique : demander à Malte d’ouvrir une enquête publique pour déterminer quelles erreurs ont été commises pour empêcher le meurtre de son journaliste le plus éminent.

Ensuite, nous passerons à la prochaine brique.

Chaque jour, j’aimerais que ma mère n’ait jamais eu à faire ce sacrifice au nom de son pays et je préférerais qu’elle soit encore en vie.

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Mais comme l’a dit Khadija Ismailova, une journaliste azérie dont l’emprisonnement a été qualifié de « choquant » par des groupes de défense des droits humains, « si nous aimons vraiment, nous voulons que nos proches soient qui ils sont. Et c’est ce qu’était Daphne : combattante et héroïne ».

Ce que ma mère ne saura jamais, c’est que sa mort a inspiré des milliers d’actes d’héroïsme, à Malte et ailleurs.

Et j’aime à penser que chacun de ces actes a, d’une manière ou d’une autre, protégé d’autres journalistes courageux du sort de ma mère.

A propos de cet article

Matthew Caruana Galizia est journaliste d’investigation et fils de la journaliste Daphne Caruana Galizia, tuée par une voiture piégée en octobre 2017. Vous pouvez le suivre sur Twitter ici.

A écouter :

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Anas Aremeyaw Anas, journaliste d’investigation ghanéen
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